Avec la crise sanitaire actuelle, les startups françaises ont dû observer un nombre de changements drastique dans leurs activités, leur organisation et également leur trésorerie. La crise a marqué un impact durable pour nos startups : des levées de fonds ont été repoussées à des dates ultérieures, des sociétés possèdent désormais quelques mois de trésorerie et le recours au chômage partiel, encouragé par les institutions publiques.
Afin de comprendre ces changements, nous avons réalisé au sein d’Eldorado avec la startup d’études Madeinvote un questionnaire pour mesurer au mieux l’impact de la crise sanitaire dans l'écosystème tech français auprès d’un échantillon diversifié d’entrepreneurs.
Il a été réalisé auprès de 226 startups. Ces startups sont assez hétérogènes : elles sont à différents stades de financement, fonctionnent majoritairement avec un business model par abonnement et transaction et font une majeure partie de leur chiffre d’affaires en B2B.
Au regard de cet échantillon représentatif, nous avons également su établir un profil type du répondant de notre sondage : un CEO à la tête d’une société en early-stage de 1 à 20 salariés, présent dans le secteur du B2B/SaaS et établi en Île-de-France.
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Conséquences directes de la crise sur l’activité des startups
Une baisse d’activité attendue
La situation actuelle du confinement entraîne naturellement une baisse d’activité qui impacte les prévisions de croissance pour l’année 2020 des startups. D’un pourcentage moyen de 123% avant crise celui-ci est tombé à 40% illustrant les difficultés économiques auxquelles s’attendent les dirigeants de startup. Parmi ces répondants, seuls 6% estiment une croissance de leur activité et 12% une stabilité. En outre, 82% des répondants estiment une baisse nette de leur activité. Le pessimisme reste le mot d’ordre sur ce point-ci.
Nous avons déterminé une plus faible prévision de croissance pour les startups de plus de 20 salariés de même que celles qui n'ont pas de financement dilutif.
Enfin, la reprise d’activité serait estimée à moins de trois mois pour 46% des startups. Les startups n’ayant pas eu recours à du financement dilutif sont les plus optimistes quant à une reprise rapide.
Une organisation interne repensée
77% des startups interrogées ont majoritairement adaptées leurs produits et services pour lutter au mieux contre la situation actuelle. Les startups ayant plus de 21 salariés et celles ayant adaptés un modèle de revenus B2B sont les plus concernées par ce changement.
Le COVID a manifestement provoqué un gel des embauches (46%) et une montée du chômage partiel (44%) notamment chez les startups qui ont déjà levés des fonds (58%). Cette typologie de startup est celle qui est la plus sujette à des questions de ressources humaines. Si les licenciements ne sont pas une priorité pour 67% des répondants, les startups arrivés aux stades de la Série A, B et C sont les plus susceptibles de recourir à des plans de licenciement.
70% d’entre eux estiment qu’une réduction des coûts est nécessaire. Parmi ces répondants, les startups ayant déjà eu recours à une levée de fonds sont les plus nombreuses à prévoir ce plan de réduction des coûts.
Une trésorerie insuffisante pour pallier les conséquences directes
Dans la situation actuelle, 65% des répondants estiment qu’ils possèdent actuellement moins de 6 mois de trésorerie. À 83% les sociétés ayant un modèle de revenus en B2B2C sont celles qui possèdent une très faible trésorerie.
Au cours d’un webinar entre Eldorado et Serena Capital sur le thème “gérer la crise et le churn pour les startups SaaS”, Serena Capital a su livrer 4 best-practices dont la possibilité d’envisager des hypothèses de croissance très pessimiste. Sur ce point, Serena Capital partage la vision du fonds américain Sequoia Capital. Dans un article Medium, le fonds a partagé une matrice qui corrèle les scénarios de déconfinement avec les stratégies de réduction de dépenses opérationnelles, dont vous pouvez retrouver la version française ici.
Naturellement, les sociétés plus matures, ayant atteint des stades de financement en Série A, B et C, possèdent beaucoup plus de trésorerie que les autres répondants et sont moins sujets à un impact financier court-terme.
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Impacts réels sur la trésorerie actuelle des entrepreneurs
Une très forte disponibilité des banques
Si l’on doit rentrer plus en détails à propos la trésorerie des startups, il est important de regarder du côté des banques. Les banques ont massivement répondu de manière positive aux entrepreneurs qui les avaient sollicités (76%) pour un montant moyen de 237 926 €. Sur l’ensemble des répondants, plus de la moitié n’étaient pas endettés avant la crise.
Les sociétés qui avaient déjà levé sont plus nombreuses à avoir sollicité leur banque pour faire face à la situation actuelle.
Pour chaque société, il est intéressant de constater que le montant obtenu est proportionnel à sa taille en effectif et à son stade de financement. Si en moyenne les sociétés arrivées au stade de financement de type Série A, B et C ont obtenu un prêt à la hauteur 592 689 euros, les sociétés en pre-Seed ont “seulement” obtenu 83 278 euros. Les startups en Seed sont en proportion plus nombreuses à être déjà endettées.
Les entrepreneurs ont faiblement eu recours à Bpifrance
Bpifrance a bien évidemment été sollicité durant cette crise. Seulement, 24% des sociétés ont fait appel à Bpifrance depuis le début de la crise et ont sollicité en moyenne 130 838 € et en grande majorité pour un Prêt Garantie État, qui a constitué le meilleur levier de financement pour ces sociétés.
À ce propos, nous avons constaté que les différentes mesures proposées par Bpifrance étaient choisie proportionnellement au stade de financement de la société. Ainsi, le prêt Rebond a par exemple été particulièrement demandé par des sociétés n’ayant jamais eu recours à des financements dilutifs. De même, l’outil Avance+ a fait l’objet de nombreuses demandes de la part de startups en Série A, B et C.
Les sociétés en Seed et globalement celles qui avaient déjà levé étaient plus nombreuses à avoir déjà fait appel à Bpifrance avant et depuis le début de la crise.
La baisse des ventes est la principale source d’inquiétude des entrepreneurs
La réduction des coûts, avec les coupes budgétaires, la baisse des ventes et l’absence de soutien d’investisseurs constituent les premières sources d’inquiétudes pour les dirigeants d’entreprises. À l’inverse, ils ont été favorable à l’adoption du télétravail.
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Quels enseignements à tirer de cette crise pour les entrepreneurs ?
Les financements dilutifs n’ont pas la côte
Une grande majorité des répondants (un peu moins de la moitié) n’ont pas effectué de levées de fonds avant le confinement et ne désirent pas en faire. Ces startups n’ont pas de financement dilutif dans leur capital. A contrario, les startups qui ont levé récemment, ou ont l’habitude de lever de fonds, possèdent un réflexe et un focus “cash” qui les incitent à recevoir de l’argent des investisseurs, et continuer ainsi.
Les investisseurs en capital-risque restent frileux et discrets
L’échantillon interrogé estime à plus de 50% un temps de réponse beaucoup plus ralenti. L'absence d'investissement des fonds de Venture Capital ainsi que des Business Angels va générer logiquement plus d'inquiétude chez les startups en Pre-Seed plutôt que chez les autres. Cette absence s’est très vite perçue au sein des startups en process de levée de fonds ou qui allaient bientôt lancer leur roadshow. C’est pourquoi Bpifrance a rapidement réagi et mis en place un mécanisme de bridge avec effet de levier via le “French Tech Bridge”.
Les levées de fonds seront nécessairement impactés : 44% des répondants ne veulent pas effectuer de levées après le déconfinement et 29% estiment ralentir leur timing de levée de fonds.
Cette tendance se confirme particulièrement dans la région Île-de-France : selon notre échantillon il n’y a presque plus de levées en cours. Les sociétés qui ont déjà levé prévoient de ralentir le timing pour la prochaine levée de fonds. De même, celles qui n'ont pas encore levé prévoient de de ne pas lever du tout.
En revanche, les startups pour lesquelles une levée est en cours prévoient d'accélérer le timing. Cela s’est récemment observé avec la dernière grosse levée de 110 millions d’euros de Back Market, afin d'accélérer son développement à l’international.
Le ressenti des entrepreneurs face à l’impact du COVID est globalement positif
Le confinement impacte durablement les entrepreneurs et leurs activités. Au cours de ce sondage, nous avons pu collecter de nombreux avis concernant leurs ressentis et leurs perspectives d’activités pendant la crise. Nous avons également pu ressentir leurs inquiétudes et conseils concernant la période post-confinement.
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“La difficulté est d'arriver à prévoir les ventes à 6, 12 mois voir plus. Même si la reprise montre le bout de son nez dans les prochaines semaines, l'impact économique sur le long terme risque d'être énorme. Baisse du pouvoir d'achat, faillites de nos partenaires, fournisseurs, clients et j'en passe. Tout ça est absolument impossible à quantifier/anticiper, mais malheureusement il faut s'y attendre. C'est très anxiogène. Nos plans changent d'une semaine à l'autre. Ce que je peux conseiller c'est d'être très prudent et de prévoir le pire des cas de figure pour tenir le plus longtemps possible. Prenez toutes les aides qui sont mises à votre disposition, même si aujourd'hui vous pensez ne pas en avoir besoin.” pour le CEO d’une startup B2C de 1 à 20 salariés, établie en région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le domaine du tourisme.
Cependant le sentiment global qui règne à la lecture de notre sondage est un optimisme général chez les dirigeants d’entreprises. Cet optimisme s’explique par la confiance qu’ont les entrepreneurs face au caractère temporaire de la crise. Il y a également certains entrepreneurs qui ont même su tenir un avantage de cette situation :
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“Cette période de confinement lié au COVID-19 entraîne un surcroît de croissance, soit 40% dans mon cas et donc une amélioration nette de ma marge brute de 15%. Cela m'ouvre des perspectives par sollicitation de partenariats que je n'envisageais même pas encore en mars. Par contre, cela m'ouvre un champs business à formaliser d'ici cet été avant de revoir le prévisionnel de croissance (passant de 2 chiffres à 3 chiffres d'ici 2022). Du coup, le côté négatif est de revoir toute l'assise financière de l'entreprise, qui avançait en autofinancement …” pour le CEO d’une startup B2B de 1 à 20 salariés, établie en Bretagne et spécialisée dans le domaine de l'intelligence prédictive RH Tech.
La situation saura globalement s’améliorer pour l’écosystème tech français et les entrepreneurs ont confiance en la pérennité de leurs sociétés et leurs secteurs d’activités dans les mois à venir. Ils ont également confiance sur leur capacité à très vite rechercher des financements publics et privés.
Pour aller plus loin :