PANORAMA DES AIDES PUBLIQUES À L'INNOVATION
La France est souvent considérée comme l’Eldorado des aides publiques: de nombreux dispositifs sont déployés par plusieurs organismes rendant souvent difficile la recherche de financements non-dilutifs pour les entreprises.
Pour éclaircir ce système, nous revenons sur les différents acteurs, les dispositifs qu’ils proposent et leurs répartitions sur le territoire métropolitain. Nous nous sommes basés sur le rapport complet publié par la Cour des comptes en avril 2021 sur les aides publiques à l’innovation des entreprises.
LE SOUTIEN PUBLIC À L’INNOVATION, EN PLEIN ESSOR
Au cours des dix dernières années, la stratégie de soutien public à l’innovation des entreprises s’est caractérisée par l’effort croissant de l’État en matière de financement, qui a doublé le nombre dispositifs (de 30 à plus de 60) entre 2000 et 2015.
Ce soutien s’est fortement développé autour de trois dispositifs : les crédits d’impôt pour stimuler la dépense de recherche innovation des entreprises, le soutien à la création et au développement d’entreprises innovantes, et l’incitation à développer les coopérations entre acteurs pour accroître les retombées économiques de la recherche publique. En consacrant 2,35 % de son PIB aux dépenses de R&D en 2020, la France se situe au huitième rang des pays de l’OCDE.
Entre 2007 et 2019, les engagements financiers publics consacrés au soutien à l’innovation ont très fortement augmenté en passant de 3 Md€ à près de 10 Md€ par an, dont les deux tiers liés au crédit d’impôt recherche. On observe ainsi une forte croissance des incitations fiscales (de 1,7 à 6,7 Md€) ainsi que des aides directes à l’innovation, qui ont été multipliées par 2,6 (de 1,2 à près de 3,1 Md€).
En 2020, les classements internationaux positionnent la France au 10ème rang de l’Union européenne et au 12ème rang mondial en matière d’innovation, une progression de quatre places par rapport à 2019 pour le classement mondial. Cependant, l'État français ne gère pas directement la distribution des aides publiques au financement. Ces dernières sont centralisées autour de plusieurs opérateurs.
Les principaux acteurs du financement public
En 2017, le financement direct de l’innovation par des fonds publics représentait 3,1 Md€ en France. Plusieurs opérateurs sont chargés de distribuer ces fonds pour le compte de l'État, que ce soit les collectivités territoriales ou d’autres institutions (Bpifrance, ADEME, Régions...). Pour donner un ordre d’idée, parmi les entreprises de plus de 10 salariés qui ont innové entre 2016 et 2018, 10 % ont reçu un financement d'organismes publics, 8 % ont reçu un financement des collectivités territoriales et 3 % ont reçu un financement de l'UE.
Voici les principaux acteurs du financement public de l’innovation en France:
Bpifrance gère l’enveloppe la plus importante, avec près de 40 % de l’ensemble des aides directes à des projets collaboratifs et à des entreprises innovantes.
Créée en 2013, Bpifrance a permis de réunir sous un seul opérateur, des compétences de financement, d’investissement en fonds propres et d’accompagnement au service du soutien à l’innovation des entreprises. Bpifrance a développé une gamme de dispositifs destinés à intervenir aux différents stades de la création, du développement et de la croissance des entreprises innovantes, avec pour objectif la mise en place d’un « continuum » du soutien. Ils se caractérisent par des aides financières (subventions, avances récupérables en cas de succès et prêts à taux bonifiés ou sans garanties) et des aides non-financières (accompagnement, diagnostics, mise en réseau...). (Pour rappel, Eldorado est Expert Diagnostic Croissance de Bpifrance, nous pouvons vous accompagner dans la construction de vos documents pour la levée de fonds).
Bpifrance doit agir là où les autres acteurs financiers ne sont pas ou pas assez présents, en prenant plus de risques, en s’inscrivant dans une durée plus longue, tout en veillant à la qualité des projets financés.
L’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) est l'organisme qui gère les aides aux entreprises à la transition énergétique et écologique dans le Programme d’Investissement d’Avenir (PIA) de l’Etat.
Entre 2010 et 2020, l’ADEME a accompagné plus de 900 projets pour un total 2,3 Md€ d’aides. Plus de 1 500 entreprises (dont 47 % de PME) en ont été bénéficiaires entre 2011 et fin 2018, majoritairement dans le cadre de projets collaboratifs avec des appels à projets et des montants moyens d’aide autour de 2 M€.
Les Régions interviennent essentiellement sous forme de subventions auprès des entreprises. Certaines régions viennent compléter ces subventions par des avances récupérables et des prêts, et ajoutent en complément du financement des actions d’accompagnement/conseil.
Les régions ont mis en place des dispositifs spécifiques financés sur leurs ressources. Il n’existe pas de recensement global des actions menées en propre par les régions, ce qui empêche de disposer d’une vision exhaustive du soutien public, d’autant que ces interventions sont le plus souvent en aval, en soutien direct aux entreprises innovantes et se cumulent à d’autres aides (Nous détaillons davantage la répartition des aides par région plus bas dans cet article). D’autres collectivités territoriales peuvent également proposer des dispositifs de soutien à l’innovation, notamment les métropoles.
L'Union Européenne : Avec le conseil européen de l’innovation, la Commission se dote pour la première fois en 2021 d’une capacité d’investissement direct pouvant aller jusqu’à 15 M€ pour le financement de la croissance des start-ups. Parallèlement, le FEI, (Fonds Européen d'Investissement), intervient directement auprès des banques et autres institutions financières pour que celles-ci s'engagent davantage pour les PME, en leur fournissant des garanties sur une partie des prêts qu'elles accordent.
Par ailleurs, l'UE attribue des aides aux entreprises innovantes dans le cadre du programme Horizon Europe (à la suite de Horizon 2020). Avec un budget de 95,5 Mds€ sur la période 2021-2027, Horizon Europe est le programme de soutien à la recherche et à l’innovation le plus ambitieux au monde.
Le programme vise à mettre l’accent sur la double transition écologique et numérique. La plupart des appels à projets visent à soutenir les initiatives collaboratives réunissant au moins trois organismes (entreprises, organismes de recherche, université) provenant de trois États différents. Mais certaines parties du programme permettent également aux entreprises seules de candidater. Par exemple, une startup ou une PME innovante peut présenter seule un projet innovant et être soutenue par le dispositif EIC, accompagnant les entreprises très innovantes avec un projet risqué.
Ces aides sont encore peu sollicitées par les entreprises françaises. Dans le cadre du programme Horizon 2020, en moyenne, 7 % des entreprises innovantes déclarent avoir recours aux aides européennes sur la période 2002-2016 et 3 % sur la période 2016-2018. Parmi celles financées au titre de projets collaboratifs sous Horizon 2020, 46 % ont reçu un financement national avant un financement européen et 47 % étaient membres d’un pôle de compétitivité.
Pour plus de détails, vous pouvez retrouver notre kit des aides publiques sur la plateforme Eldorado.co.
Avant les aides directes, les entreprises innovantes françaises bénéficient d’un soutien fiscal important
Le crédit d’impôt recherche (CIR) est le principal soutien financier à la recherche et innovation des entreprises, avec un crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu égal à 30 % des dépenses de recherche dans la limite de 100 M€ puis 5 % au-delà. La France est désormais l’un des pays qui offre le traitement fiscal de la R&D le plus avantageux pour les entreprises.
Le crédit d’impôt innovation (CII) a été instauré pour étendre les dépenses éligibles au CIR à la conception de prototypes et installations pilotes de produits nouveaux. D’un taux de 20 % et avec une assiette plafonnée à 400 000 €, ce crédit d’impôt a vocation à inciter les PME à industrialiser leur innovation, en intégrant des facteurs comme le design ou l’écoconception plus proches de la commercialisation. Le montant total de CII perçu s’est établi à 195 M€ en 2019, en progression de plus de 21 % par rapport à 2018.
BPIFRANCE, UN ACCOMPAGNEMENT À TOUS LES STADES DE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES INNOVANTES
Bpifrance cherche à intervenir à tous les stades du développement d’une entreprise innovante, l’ensemble des aides est décrit comme un « continuum ». Elles prennent la forme d’aides financières (subventions, avances récupérables, prêts...) et sont généralement instruites et distribuées par les 45 implantations régionales de Bpifrance.
Dès sa création, une entreprise innovante peut bénéficier des premières aides pour valider la faisabilité du projet, le faire évoluer et accompagner ses premiers développements.
A ce stade de développement, les aides prennent souvent la forme de subventions pour des montants relativement faibles mais déterminants à ce stade de développement. La Bourse French Tech par exemple, est une subvention, consacrée aux entreprises de moins d’un an avec un fort potentiel de croissance mais qui nécessite encore une phase de maturation et de validation technico-économique. La subvention peut aller jusqu’à 30 000 € et ainsi permettre les premiers développements de l’innovation.
Schéma 1: Subventions, avances récupérables et prêts Bpifrance au différents stades de maturité d’un projet d’innovation
Dans un second temps, au stade de l’évaluation de la faisabilité du projet, BPI propose l’Aide pour la Faisabilité de l’Innovation, un mix entre subvention et avance à taux zéro, remboursable en cas de succès, pouvant aller jusqu'à 50 000 €. Cette aide couvre les études de faisabilité mais également les dépenses liées à la conception.
Vient ensuite le temps de l’expérimentation et du développement de l’innovation, qui nécessite plus de capitaux, jusqu’à son industrialisation et sa commercialisation. Les projets qui arrivent à ce stade sont plus matures et peuvent donc bénéficier de prêts d’un montant qui va croissant avec leur niveau d’avancement et qui se substituent aux subventions.
Ces prêts bénéficient du mécanisme de garantie du Fonds européen d’investissement (FEI) et ne font donc l’objet d’aucune prise de garantie sur les actifs de l’entreprise ou le patrimoine du dirigeant. Les prêts de Bpifrance financent la trésorerie de l’entreprise, notamment pour couvrir les investissements immatériels essentiels au développement d’un projet innovant.
Les principaux prêts distribués par Bpifrance sont le « prêt d’amorçage FEI », pour renforcer la trésorerie des entreprises innovantes voulant lever des fonds. Ce prêt peut aller de 50k€ à 100k€. Le « prêt d’amorçage investissement FEI », lui, est consacré aux entreprises innovantes venant de lever des fonds et ayant déjà bénéficié d’une aide à l’innovation. Les montants sont plus élevés allant de 100k€ à 1M€.
Les dépenses de développement, d’industrialisation et de commercialisation de l’innovation peuvent être financées par une avance récupérable, un « prêt innovation R&D » pouvant aller jusqu'à 3M€ ou encore un « prêt innovation FEI » pouvant s’élever à 5M€, et couvrant l’ensemble des dépenses liées à la protection intellectuelle, la conception produit, le marketing, la commercialisation...
Enfin, BPI propose également un accompagnement financier sur les dépenses liées à l’internationalisation des activités des entreprises innovantes. Il y a notamment les assurances prospection qui sont des avances de trésorerie avec une partie prise en charge par l’Etat en cas d’échec de la stratégie d’export pouvant s'élever jusqu’à 300k€. Il y a également des prêts comme le prêt croissance internationale couvrant l’ensemble des investissements matériels ou immatériels et opérations de croissance externes à hauteur de 5M€ maximum.
Les interventions de BPI France entre subventions, avances récupérables et prêts est répartie ainsi :
Tableau 1 : Subventions, avances récupérables et prêts distribués par Bpifrance
Des aides souvent cumulées avec d’autres soutiens publics
Les aides de Bpifrance peuvent être cumulées à d’autres dispositifs publics de soutien à l’innovation. Ces dispositifs peuvent être des aides directes, comme celles versées par les régions et l’Ademe, ou des aides fiscales et sociales.
Au total, 58 % des bénéficiaires d’aides versées par Bpifrance ont aussi eu recours à d’autres formes de soutien public à l’innovation :
- 50 % ont aussi bénéficié d’une aide fiscale (crédit impôt recherche ou crédit impôt innovation) ou sociale (Dispositif JEI : « jeunes entreprises innovantes »)
- 17 % ont obtenu une aide régionale
- 3 % ont bénéficié d’une aide de l’Ademe
- 1 % ont fait l’objet d’une prise de participation directe de Bpifrance dans le cadre de ses activités d’investissement.
Tableau 2: Entreprises ayant bénéficié des différentes aides publiques à l’innovation entre 2016 et 2019
Cependant, parmi les bénéficiaires qui cumulent des dispositifs, 78 % ne bénéficient que d’une des quatre catégories (Fiscale, régionale, ADEME, et investissement) en complément des aides Bpifrance. Entre 2016 et 2019, seulement deux bénéficiaires ont cumulé l’ensemble des catégories d’aides analysées.
Tableau 3 : Répartition des bénéficiaires selon le nombre de catégories d’aides cumulées avec les aides Bpifrance (2016-2019)
Graphique 1 : Cumul des aides de Bpifrance avec les autres aides directes ou fiscales (en nombre de bénéficiaires)
Les aides fiscales et sociales sont donc les plus sollicitées par des bénéficiaires d’aides de Bpifrance, avec une nette prépondérance du crédit d’impôt recherche (CIR), sollicité par 42 % des opérateurs étudiés.
Parmi les opérateurs soutenus par l’Ademe sur la période 2016-2019, 57 % ont aussi été aidés par Bpifrance. Ils ont bénéficié de 501 M€ de financements de l’Ademe et de 395 M€ de Bpifrance.
Au total, 42% des entreprises n'obtiennent que des aides en provenance de Bpifrance, mais celles-ci ne représentent que 7 % de la part totale des aides. En parallèle, 38% des bénéficiaires cumulent des aides Bpifrance avec des aides fiscales/sociales, pour représenter 50 % du montant total des aides délivrées.
Tableau 4 : Montant des aides et nombre de bénéficiaires sur trois principaux modes de soutien financier (2016-2019)
Graphique 2 : Montant des aides selon le profil de cumul, en Md€ (2016-2019)
Répartition des aides de Bpifrance sur les territoires métropolitains
La distribution régionale des aides de Bpifrance, en montant, se fait globalement de manière conforme aux indicateurs économiques de chaque région.
Sans surprise, entre 2016 et 2019, la région Île-de-France concentrait 38 % du montant total des aides versées par Bpifrance, soit 1,7 Md€. La différence est plus flagrante au niveau départemental. En région Île-de-France, Paris et les Hauts-de-Seine totalisent 72 % du montant des aides alors que ces deux départements ne représentent que 45 % des créations d’entreprises (49 % de l'emploi salarié).
Hors Île-de-France, les aides de Bpifrance sont concentrées sur un nombre réduit de départements urbains. Le Rhone, l’Isère et les Bouches-du-Rhône concentrent le quart (24 %) du montant total des aides versées par Bpifrance hors Île-de-France alors qu’ils ne représentent que 15 % des créations d’entreprises et 11 % de l’emploi salarié.
Carte 1 : Répartition des aides à l’innovation de Bpifrance versées aux bénéficiaires en Ile de France et dans les autres départements (2016-20119)
Graphique 3 : Comparaison de la répartition régionale de l’ensemble des aides à l’innovation, des dépenses R&D et du PIB
Une dimension territoriale à mieux appréhender
Les aides à l’innovation ne sont pas conçues comme des dispositifs de réduction des déséquilibres territoriaux ou de cohésion territoriale et n’ont pas vocation à le devenir. Parmi les aides examinées, seuls les dispositifs des régions comportent une dimension territoriale.
La concentration des aides peut participer au développement de “régions clusters” propices à l’innovation, créant ainsi des synergies locales dans les domaines à forte composante technologique et nécessitant beaucoup de R&D.
Cette nécessité de renforcer des pôles d’innovation dans le cadre de la compétition internationale a notamment conduit à donner aux métropoles, en parallèle des régions, une compétence en matière de développement économique sur leur territoire, en lien avec les régions.