Investir dans la Legaltech

Analyse de l'investissement dans les startups françaises de la Legaltech


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Publié le 03/06/2020

Chez Eldorado, nous avons pour ambition d’analyser plus en détail les tendances derrière les levées de fonds et de livrer une analyse plus poussée que leur simple recensement. En complément de notre suivi mensuel des levées de fonds, nous avons lancé la série d’articles “Investir dans”. 

A travers ce travail de recherche et d’analyse de la French Tech, nous souhaitons comprendre les grandes tendances de l’investissement en France et identifier les secteurs de demain. Suite aux précédents articles dédiés à la biotech, l’IA, l’IoT, la Fintech et la cybersécurité, nous vous proposons aujourd’hui une étude de l’investissement dans les legaltechs françaises.

1. Qu’est-ce que la Legaltech ?

Le secteur juridique a été profondément affecté par la crise de 2008 et la récession qui en a suivi, sous la pression de réductions de coûts, la difficulté à attirer et facturer de nouveaux clients et le manque de standardisation interne des processus d’acquisition client. De cette période de restructuration et digitalisation croissante est née la “Legaltech”, un néologisme qui comprend deux ensemble de solutions. 

D’un côté, la Legaltech se réfère aux logiciels et technologies qui facilitent et modernisent la pratique de la loi pour les cabinets d’avocats. Les cas d’usage incluent une centralisation des contrats, actes et documents juridiques via des plateformes dédiées, un suivi client plus performant entre départements grâce à l’utilisation du cloud ou divers algorithmes d’analyse de données juridiques.

De l’autre, on retrouve les outils digitaux qui facilitent l’accès à l’expertise légale et à la justice pour les particuliers. Ces solutions visent soit à faciliter et accélérer la recherche d’un bon avocat, soit à réduire (voire éliminer) le besoin d’en consulter un tout court.

outils_justice.pngLa Legaltech s’adresse donc à deux end-users distincts, les professionnels du droit et les entreprises/particuliers. Tour d’horizon des principales solutions rencontrées :

  • La rédaction d’actes et documents juridiques : les solutions intelligentes de rédaction automatique de contrats ou l’exécution de clause sont permises par les technologies de DLT (Distributed Ledger Technology ou registres distribués), l’IoT et d’autres. La startup parisienne LexDev propose ainsi à ses utilisateurs un catalogue complet de modèles juridiques et RH qu’ils peuvent modifier à souhait, en tout sécurité.
  • L’accès à l’information juridique : à destination des professionnels du droit, ces solutions permettent aux utilisateurs de gagner du temps dans les recherches juridiques afin de prendre les meilleures décisions. L’outil intelligent Predictice permet même d’estimer le taux de succès d’une action contentieuse afin de moduler l’approche juridique. Son concurrent direct Doctrine propose également une base de données exhaustive des dernières décisions ainsi qu’un outil de veille juridique.
  • La mise en relation avec des avocats et juristes : les marketplaces se multiplient afin de faciliter l’identification et la mise en relation avec des avocats et juristes. Gagnant du Prix de l’Innovation 2018 de l’Incubateur du Barreau de Paris, Call a Lawyer référence plus de 1000 avocats dans toute la France et dans toutes les spécialités.
  • L’aide à la création et gestion d’entreprise : certaines startups se positionnent sur le suivi long terme des entreprises, afin de les accompagner dans toutes leurs démarches juridiques et administratives. C’est le cas de LegalPlace, qui accompagne les entrepreneurs dans la création de leur entreprise, conseille sur la gestion des CSE ou encore aide à la rédaction de divers contrats (pacte d’associés, CGV, contrat de prestation).
  • Les solutions de résolution de litiges et d’arbitrage : pour contourner le long cycle derrière l’obtention d’une décision de justice (en particulier en première instance), certaines startups se sont positionnées sur la digitalisation des litiges B2B et B2C. Madecision Arbitrage et Médiation en ligne propose ainsi à ses entreprises clients d’insérer une clause type dans leurs conditions générales de vente ou leur contrat client ou fournisseur. En cas de litige, les parties doivent se tourner vers la plateforme qui leur proposera un arbitre formé.
  • La facilitation de l’accès à la justice et le financement d’actions : ces solutions facilitent l’accès à l’information juridique pour les particuliers et entreprises, en général via un chatbot. La direction juridique d’EDF a par exemple lancé un chatbot interne en 2017 avec succès pour accompagner les juristes de l’entreprise.

Côté capital-risque, 52,7 millions d’euros ont été levés par les legaltechs françaises sur l’année 2019 (via 16 deals, soit 1% des deals tous secteurs confondus). C’est toutefois plus de deux fois plus qu’en 2018 et quatre fois plus qu’en 2017. Le secteur enregistre donc une croissance maintenue. A noter que 70% des fonds levés en 2019 l’ont été par seulement cinq startups, preuve que les levées de fonds se polarisent autour de quelques acteurs, tandis que le reste préfère miser sur leur croissance organique, en dehors du marché du capital-risque. 

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Investissement en capital-risque dans les startups françaises de la Legaltech depuis 2017 (Données : Dealroom.co et Eldorado)

Les tours de table du secteur démontrent un intérêt grandissant et un dynamisme nouveau. Parmi les levées de fonds notables de 2019, on relève par exemple :

  • 📑 LegalStart : la solution digitale de création de documents juridiques et de formalités administratives pour entreprises a levé 15m€ en mars 2019 auprès d’ISAI. Les fonds ont été principalement levés pour accélérer le recrutement et développer une solution B2B à destination des professionnels du droit.
  • 👩‍⚖️ LegalPlace : concurrent direct de la précédente startup, LegalPlace accompagne entrepreneurs, TPE et PME dans leurs formalités juridiques et administratives quotidiennes. Pour financer de nouvelles fonctionnalités et services, notamment en matière de gestion des ressources humaines, la jeune pousse a levé 6m€ en juillet 2019 auprès de Day One Entrepreneurs & Partners, AFIR et Bpifrance.
  • 🧾 Jenji : l’éditeur d’une solution intelligente de gestion et d’optimisation des dépenses professionnelles a levé 6m€ en septembre 2019 auprès d’Idinvest Partners et Axeleo Capital pour réinventer l’expertise comptable.

A noter que ces trois legaltech sont toutes à destination des entreprises, une reconnaissance du dynamisme de ce marché.

2. Les acteurs qui investissent dans la Legaltech en France

La moyenne des opérations du secteur est deux fois plus petite que la moyenne nationale.

Sur l’année 2019, les legaltechs françaises ont levé 53 millions d’euros, sur des deals s’établissant en moyenne à 3,5 millions d’euros. C’est deux fois moins que la moyenne tous secteurs confondus, mais la médiane sectorielle est très légèrement supérieure à la nationale. Encore fragmenté, le secteur démontre toutefois des signes de maturité croissante, avec de plus en plus d’acteurs ayant plus de 5 ans, ce qui explique les tours de table larges enregistrés dernièrement.

Le top 3 des fonds français les plus actifs dans le secteur en 2019 sont les suivants : 

Les investisseurs étrangers ne sont pas particulièrement actifs dans le secteur, du fait de la difficile expansion de ces solutions foncièrement nationales et du peu d’opérations enregistrées. En 2019, deux opérations ont été effectuées avec un investisseur étranger, de nationalité britannique et allemande. L’année précédente, la totalité des opérations avaient été réalisée auprès d’investisseurs français.

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Répartition des nationalités d’investisseurs dans la Legaltech en 2019 (Source : Eldorado)

Quant aux profils d’investisseurs, le classement est quelque peu différent de la répartition habituelle. Les fonds VC demeurent le principal acteur avec une participation dans 50% des opérations, mais les corporates sont seconds (19%), devant les business angels (13%). Une répartition inhabituelle qui s’explique par le besoin de modernisation des services juridiques de certains groupes, couplé avec le faible nombre d’opérations enregistrées qui exacerbe les tendances.

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Répartition par type d’investisseurs dans la Legaltech en 2019 (Source : Eldorado)

La répartition des tours de table révèle la structuration lente du marché, avec aucune opération supérieure à 15 millions d’euros. Les startups du secteur privilégient encore pour beaucoup le bootstrapping et le recours à l’equity se démocratise très doucement. La plupart des opérations sont donc inférieures à 3 millions d’euros. A mesure que le marché se structure et que les startups vont enchaîner les levées, les montants devraient progressivement croître.

3. Quels sont les risques d’investissement propres au secteur ?

En premier lieu, il convient de se pencher sur les facteurs clés de succès généraux du secteur. Le premier est la présence d’une équipe fondatrice solide et compétente, constituée de professionnels du milieu. La digitalisation du secteur ne peut venir en effet que de praticiens du droit ayant vu l’envers du décor et ses limites. L’expérience du milieu apporte une compréhension plus fine des besoins, des barrières d’utilisation et potentiels freins. 

A l’image de la discipline du droit, les entrepreneurs doivent jouer avec les réglementations de la Legaltech pour maintenir leur croissance.

A l’image de la discipline du droit, la Legaltech est caractérisée par les réglementations : la tendance est toutefois à l’avantage des entrepreneurs, puisque les limites se déverrouillent les unes après les autres, soutenant le développement du secteur et permettant l’arrivée de nouveaux entrants. A cet égard, la Legaltech emprunte le même chemin que la Fintech il y a quelques années. Les entrepreneurs du secteur sont ainsi davantage optimistes : en 2018, un tiers estimait rencontrer des barrières réglementaires sur le chemin de leur croissance, contre seulement 13% en 2019.

L’ancienne spécialisation juridique des fondateurs ou collaborateurs est essentielle pour proposer un produit adapté à sa cible. Selon l’Observatoire permanent de la Legaltech, plus de la moitié des legaltechs françaises sont en B2B (avocats et entreprises), dont les besoins, problématiques, et moyens sont différents d’un particulier.

Si la tendance est à la déréglementation du secteur, la Legaltech française en est encore à ses débuts et doit gagner en maturité. Elle perpétue pour le moment le manque d’inclusion et de diversité caractéristique de la profession juridique : aucune entrepreneure de la Legaltech n’a levé de fonds en 2018 et en 2019, ce qui pose un problème de représentativité conséquent. Pour rappel, la moyenne nationale est à 10,3% des opérations en 2019 (source : Eldorado). Un fait qui s’explique en partie par le manque de diversité cristallisé en amont, parmi les avocats, juristes et spécialistes.


Encore à ses débuts et pleines de promesses, la Legaltech française se structure lentement. L’identité réglementaire de la profession explique la montée en puissance lente du secteur, qui connaît toutefois une croissance soutenue sur le marché du capital-risque. Pour ne pas manquer les futures LegalPlace ou Predictice, c’est par ici !

Pour aller plus loin :

  • Legaltechs françaises, les tendances 2019 : l’année des records Wolters Kluwer/Maddyness
  • La Legaltech française gagne en maturité et se cristallise autour de quelques poids lourds Maddyness
  • Tech can make the legal sector better for women Sifted
  • Legaltech : la difficile structuration du marché français Les Echos
  • Les Legal Tech Vont Bouleverser Le Système Judiciaire Mondial Forbes
  • Le financement de la Legaltech en 2019 Lettre du Numérique
Avec la contribution de
anna@eldorado.co's picture
Anna Richard
VC Analyst @ Eldorado


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