Chez Eldorado, nous avons pour ambition d’analyser plus en détail les tendances derrière les levées de fonds et de livrer une analyse plus poussée que leur simple recensement. En complément de notre suivi mensuel des levées de fonds, nous avons lancé la série d’articles “Investir dans”.
A travers ce travail de recherche et d’analyse de la French Tech, nous souhaitons comprendre les grandes tendances de l’investissement en France et identifier les secteurs de demain. Suite aux précédents articles dédiés à la biotech, l’IA, l’IoT, la Fintech, la cybersécurité et la Legaltech, nous vous proposons aujourd’hui une étude de l’investissement dans les blockchain françaises.
1. Qu’est-ce que la blockchain ?
Le terme de blockchain (“chaîne de blocs”) fait référence à la technologie de stockage et de transmission d’informations de manière décentralisée, sécurisée et transparente. Elle contribue ainsi à créer des bases de données contenant l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs. Ces bases restent facilement accessibles et vérifiables par ces mêmes utilisateurs.
Si l’apparition de la première blockchain (avec le bitcoin de Satoshi Nakamoto) est concomitante à la crise des subprimes de 2008, c’est toutefois la résultante de près de deux décennies de recherches et théorisation. L’attention médiatique fluctue au gré du lancement de nouvelles cryptomonnaies, des annonces de réglementations des Etats ou de l’actualité du secteur (avec l’évolution du cours du bitcoin ou son halving récent par exemple).
Trois principes de base sous-tendent cette technologie complexe, à savoir la décentralisation, la sécurité et la transparence :
- L’historique des bases de données est accessible par ses divers utilisateurs sans intermédiaire (dans le cas des blockchains publiques du moins)
- L’intégration des blocs dans la chaîne se fait de manière chronologique, indélébile et infalsifiable
- Le protocole de validation des blocs est clairement défini et s’effectue en quelques secondes ou quelques minutes selon les technologies
Ces trois principes font particulièrement écho aux besoins de reconstruction des modalités d’échanges et de digitalisation de certains pans de l’économie post-Covid.
La blockchain offre un champ des possibles quasi illimité, du trading de cryptomonnaies (le plus classique et développé), à la traçabilité dans le domaine agroalimentaire, les nouvelles formes de financement participatif (avec les ICO, initial coin offering), le stockage intelligent de l’énergie, la reconception du paiement des assurances et bien d'autres applications encore.
Malgré une démocratisation rapide de la technologie, la blockchain n’en n’est qu’à ses premiers pas. La plupart des startups du secteur se sont positionnées sur le marché de création et trading des cryptomonnaies (des devises numériques créées via la blockchain, comme le bitcoin ou l’ether). Pour résumer, on retrouve principalement deux catégories de solutions :
- Les startups contribuant au développement de l’infrastructure blockchain : c’est la première génération de startups. Elle comprend toutes les solutions financières autour de la création, de l’échange, de la gestion des actifs et de la sécurité du réseau. C’est le cas de NapoleonX par exemple, une société de gestion de crypto actifs lancée par d’anciens banquiers d’investissement. Le projet a été financé via une ICO de 15 000 ethers, l’équivalent de 10 millions d’euros. Positionnée sur le même secteur mais sous un format différent, la plateforme Kryll.io permet l’automatisation du trading de crypto actifs. La jeune pousse est soutenue par Bpifrance et collabore avec le CNRS et l’institut EURECOM.
- Les startups intégrant la blockchain dans leur produit/service : la seconde génération de startups offre des applications bien plus diverses, puisque la technologie blockchain en constitue uniquement le support. On retrouve ainsi la plateforme de dépôt, certification et partage d’œuvres en ligne Ipocamp. Grâce à l’utilisation de l’Ethereum, il est désormais possible de certifier de l'antériorité et de la paternité de toute création. La solution de messagerie AppInMail utilise ainsi la technologie blockchain pour accroître la sécurité lors d’échanges de mails en garantissant l’identité de l’émetteur et du récepteur des emails échangés de manière automatique.
Côté capital-risque, 24,8 millions d’euros ont été levés par les startups françaises de la blockchain sur l’année 2019 (via 18 deals, soit 1% des deals tous secteurs confondus). Si le nombre d’opérations augmente de manière constante (8 opérations en 2017, 12 en 2018 et 18 en 2019), le total levé est très fluctuant : 18,5 millions d’euros en 2017, 73,6 millions d’euros l’année suivante, puis seulement 24,8 millions d’euros en 2019. La pépite de sécurisation de cryptomonnaies Ledger a en effet levé 61m€ lors de sa Série B en janvier 2018, bouleversant la croissance rectiligne du capital-risque français.
La même tendance se dessine sur la scène mondiale, puisque la courbe du nombre d’opérations s’est brutalement cassée mi-2018 (voir graphique ci-dessous), concomitamment à la chute du bitcoin, et stagne depuis à environ 200 deals par trimestre. L’incertitude des investisseurs s’est même étendue sur l’année 2019, avec un déclin marqué du montant total levé.
Evolution de l’investissement VC dans la blockchain depuis 2017 (Source : CB Insights)
L’activité fluctuante de capital-risque démontre que la technologie n’a pas encore fait toutes ses preuves. Parmi les levées de fonds notables de 2019, on peut relever par exemple :
- 💲 ACINQ : l’éditeur d’un réseau de paiement blockchain facilitant les transactions bitcoin a levé 7m€ en août 2019 auprès d’Idinvest Partners, Serena et Bpifrance. Les fonds sont destinés à financer la croissance de l’entreprise, renforcer son équipe R&D et améliorer ses produits.
- 🔗 Tilkal : Tilkal développe une plateforme de traçabilité et transparence des chaînes d’approvisionnement en temps réel. La jeune pousse a levé 3,5m€ en juin 2019 auprès de Breega, Ventech et des business angels. L’apport financier devrait permettre à la jeune pousse de conforter sa place sur le marché européen.
- 👛 Ledger : le spécialiste des portefeuilles physiques pour cryptomonnaies a à nouveau levé en 2019, après sa Série B de 61 millions d’euros l’année précédente. Le fonds corporate Samsung Ventures a mis un ticket de 2,6m€ en avril 2019.
Cette shortlist met en évidence la diversité des solutions du secteur, avec des applications possibles en Fintech, logistique, sécurité, et aussi bien en B2B que B2C.
2. Les acteurs qui investissent dans la blockchain en France
Sur l’année 2019, le secteur blockchain français a levé 25 millions d’euros, avec une moyenne des opérations s’établissant à 1,8 million d’euros. Pour rappel, la moyenne nationale était de 7,4 millions d’euros cette même année. La médiane sectorielle est également inférieure à la nationale, à 1,25 million d’euros vs 2 millions d’euros.
Le montant total levé et la moyenne des opérations mettent en évidence la jeunesse du secteur et son besoin important d’évangélisation.
A noter toutefois que quatre startups n’ont pas communiqué le montant exact de leur levée, ce qui complique la possibilité de tirer des conclusions. Au vu toutefois des tendances récentes d’investissement, on peut s’accorder à dire que la blockchain a encore beaucoup de maturité à gagner et l’évangélisation du secteur est loin d’être achevée.
Les fonds les plus actifs dans le secteur en 2019 sont les suivants :
- Bpifrance (3 deals),
- Kima Ventures (3 deals),
- ConsenSys Ventures (2 deals)
- et Investessor (2 deals)
A noter également l'activité du VC franco-britannique LeadBlock Partners, seul fonds spécialisé B2B blockchain. A nouveau, le faible nombre d’opérations ne permet pas de discerner de véritables leaders. On peut toutefois relever que Bpifrance a réalisé ses premières prises de participation dans le secteur en 2019.
Comme les solutions blockchain s’adressent pour la plupart à un marché international dès le départ, on retrouve un certain nombre d’investisseurs étrangers sur les opérations de capital-risque. Ainsi, près de 17% des opérations ont été réalisées auprès d’un moins un investisseur non-français en 2019. C’est équivalent à la moyenne nationale tout secteur confondu.
Répartition des nationalités d’investisseurs dans la blockchain en 2019 (Source : Eldorado)
Le classement des profils d’investisseurs est habituel, avec une majorité des opérations réalisée auprès de fonds VC (61%) et/ou de business angels (44%). Les CVC et corporates se montrent plutôt intrigués, avec une participation dans 17% et 6% des opérations respectivement. Alors que les banques sont plutôt actives dans l’écosystème Fintech (en financement comme rachat), il est intéressant de voir qu’elles ne se sont pas encore prononcées sur le secteur français. Il s’agit donc d’un acteur à suivre de près ces prochaines années.
Répartition par type d’investisseurs dans la blockchain en 2019 (Source : Eldorado)
La répartition des tours de table confirme les constats précédents de jeunesse du secteur : aucune opération supérieure à 15 millions d’euros n’a été réalisée en 2019. La Série B de 61m€ de Ledger en 2018 en est d’autant plus inhabituelle. La très grande majorité des deals (86%) est inférieure à 3 millions d’euros. La structuration progressive du secteur ces prochaines années devrait permettre à la répartition des tours de table d’évoluer vers de plus importants montants.
3. Quels sont les risques d’investissement propres au secteur ?
Il convient tout d’abord de se pencher sur les facteurs clés de succès généraux du secteur. Le premier est la présence d’une équipe fondatrice solide et compétente, constituée de connaisseurs et/ou professionnels du milieu. Le secteur et les régulations évoluant rapidement, il est nécessaire que le management ait une vision claire du produit sur le plan technologique et en termes d’étapes de croissance. En effet, comme ces solutions s’adressent à un marché commun (international), la compétition est plus ardue. Bâtir un avantage technologique peut se révéler crucial.
Comme nombre de technologies bouleversant des secteurs durablement établis, l’incertitude réglementaire est un frein évident. Après quelques années de perplexité pour évaluer les potentielles applications et risques de la blockchain, les institutions nationales et internationales sont dans un mouvement d’ouverture (très) progressif. Le modèle interroge puisque la blockchain est fondamentalement construite pour être décentralisée, ce qui pose un casse-tête de contrôle pour les institutions gouvernementales qui ne partagent pas cette vision.
La blockchain n’a pas fini de nous surprendre par ses applications. L’évangélisation du secteur est toutefois à double-tranchant, puisque les premiers investisseurs auront l’opportunité de faire des opérations intéressantes, mais les suivants risquent de créer un effet de bulle si la blockchain n'est pas à la hauteur des attentes du marché. Au vu du nivellement de l’intérêt pour la technologie dans les recherches de moteurs de recherche, cette éventualité semble s’être dissipée.
Un important travail d'image doit être fait pour initier un public plus large aux innombrables opportunités du secteur.
Il n’empêche que beaucoup reste à faire en termes d’expérience utilisateur et vulgarisation pour toucher un public plus large de clients, et donc d’investisseurs. Un important travail d’image et de branding doit être fait pour initier un public plus large aux innombrables opportunités du secteur. Un travail de la communauté qui permettrait également d’éclaircir le débat autour de l’importante consommation énergétique du secteur, principalement dans les zones en excédent énergétique (dans le Sichuan par exemple, alimenté par l’énergie hydraulique).
Enfin, le dernier frein de ce secteur hautement technologique est sans surprise le manque de représentation et de diversité. Seule une entrepreneure est parvenue à lever des fonds l’année passée, soit 5,6% des opérations recensées. La moyenne nationale se situe à 10,3% des opérations (source : Eldorado). Un retard qui s’explique par le manque de diversité dans les positions de développeurs, ingénieurs informatiques mais aussi entrepreneurs.
Fortement médiatisé et pourtant mal reconnu, le secteur de la blockchain français fait ses premiers pas. Un long travail d’évangélisation est encore à faire pour démontrer l’accessibilité, les opportunités et le besoin d’application de la technologie dans de nombreux pans de la société. Pour ne pas manquer le prochain Ledger, c’est par ici !
Pour aller plus loin :
- Après le rachat du Chain Accelerator, retour sur les forces et faiblesses de l'écosystème blockchain français La Tribune
- Blockchain : la France rêve de devenir la référence mondiale Les Echos
- Les enjeux des blockchains France Stratégie
- Qui sont les startups françaises de la Blockchain ? Maddyness
- Blockchain Trends In Review CB Insights
- The Easiest Way To Invest In Blockchain Technologies Forbes