Investir dans l'IA

Analyse de l'investissement dans les startups françaises de l'intelligence artificielle


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Publié le 31/10/2019

Chez Eldorado, nous avons pour ambition d’analyser plus en détail les tendances derrière les levées de fonds et de livrer une analyse plus poussée que leur simple recensement. En complément de notre suivi mensuel des levées de fonds, nous avons lancé la série d’articles “Investir dans”. 

A travers ce travail de recherche et d’analyse de la French Tech, nous souhaitons comprendre les grandes tendances de l’investissement en France et identifier les secteurs de demain. Alors que se tient cette semaine la seconde édition du forum AI for Humanity, nous vous proposons aujourd’hui une étude de l’investissement dans les startups françaises de l’intelligence artificielle.

1. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

Dérivé des travaux du mathématicien Alan Turing, le terme d’intelligence artificielle (IA) a été formellement conceptualisé par les scientifiques américains John McCarthy et Marvin Lee Minsky. L’IA désigne l’ensemble des programmes informatiques capables de réaliser des tâches habituellement accomplies par des humains, car nécessitant de faire preuve de capacités intellectuelles telles que la rationalité, le raisonnement, la mémoire ou encore la perception. 

Le financement de la recherche publique et des startups françaises constitue un des points d’honneur du programme national AI for Humanity, lancé par le Président Macron.

Domaine hautement stratégique, les gouvernements nationaux se bousculent pour lancer leur propre programme de soutien à l’IA. Emmanuel Macron a ainsi annoncé un plan d’investissement d’1,5 milliard d’euros dans la recherche d’ici 2022 (AI for Humanity). Un point d’honneur est porté au financement de la recherche et des startups du secteur, ainsi qu’au renforcement de leur collaboration. A ce titre, le réseau d’acteurs publics et privés est renforcé via la création de 3IA (Instituts Interdisciplinaires d'Intelligence Artificielle) basés à Paris, Grenoble, Toulouse et Nice. L’enjeu derrière ce projet est de regrouper la recherche privée et publique et de renforcer le maillage territorial public-privé.

A noter que l’Hexagone possède déjà une base solide d’instituts de recherche et de laboratoires (Inria, instituts INS2I et INSMI du CNRS) et attire les acteurs étrangers grâce à la qualification de ses ingénieurs et chercheurs. Nombre de multinationales ont ainsi choisi d’ouvrir leur centre de recherche sur le territoire, à l’instar des GAFAM Facebook et Google et des champions asiatiques Huawei, Fujitsu et Rakuten. L’image est forte, car ce centre de Facebook est par exemple le seul centre du groupe spécialisé en IA basé hors des États-Unis.

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Le maillage territorial de la recherche publique et privée en IA
(Source : France is AI)

Big data, machine learning, retail, santé et service client constituent les domaines d’applications les plus actifs de l’IA en France.

L’IA offre de multiples applications, ce qui est également vérifié par les domaines d’activités variés des startups du secteur : le traitement des données (big data), l’apprentissage automatique (machine learning), la vente au détail, la santé et le service client enregistrent le plus de création de nouvelles entreprises. Selon Cédric Favier, directeur d’investissement chez Elaia, les startups de l’IA peuvent être réparties en trois grandes familles : 

  • Celles pour lesquelles l’IA constitue le cœur du produit : l’équipe est alors généralement constituée de docteurs et ingénieurs qui mettent à contribution leurs diverses expertises. C’est le cas d’AnotherBrain, qui a développé une intelligence artificielle “organique” capable d’apprendre en continu et sans supervision humaine.
  • Celles basées sur la puissance de calcul de l’IA : l’IA constitue alors la base du produit (son “infrastructure”) afin d’effectuer des calculs utilisés par la suite dans le produit. C’est le cas de la solution de prévision météorologique meteo*swift.
  • Celles dont l’IA constitue une valeur ajoutée au produit initial : l’IA constitue une brique supplémentaire qui vient compléter le produit et l’améliorer. C’est le cas de la plateforme de production de photos et de vidéos Meero.

Côté capital-risque, 589 millions d’euros ont été levés par les startups françaises de l’IA depuis janvier (sur 47 deals, soit 7% des deals tous secteurs confondus). C’est 1,6x plus que le montant total de 2017 et 1,2x celui de 2018. Cette belle croissance s’explique par un climat général favorable au capital-risque ainsi que les retombées d’un maillage affiné entre les acteurs de la recherche, publics comme privés. 

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Investissement en capital-risque dans les startups françaises de l’IA depuis 2015
(Données : Capgemini Invent)

 

Les tours de table du secteur se démarquent par leur fréquence et leur moyenne. Parmi les levées de fonds de cette année, on relève par exemple :

  • ? La plateforme de production de photos et de vidéos pour les professionnels Meero a levé un tour de table de 205m€ auprès d’Eurazeo et Prime Ventures en juin dernier, rejoignant le club très fermé des licornes françaises. Cette levée historique constitue par ailleurs la troisième levée de fonds la plus importante de la French Tech, derrière OVH (250m€) et Parrot (300m€). 
  • ? Algolia améliore la search sur le site de ses clients et compte plus de 8 000 clients payants dans le monde. Mi-octobre, la startup a annoncé une levée de fonds de 110m€ réalisée auprès de fonds VC et CVC américains et français, dont Accel Partners, Salesforce Ventures et Alven. Si le siège social a été déplacé aux Etats-Unis en 2014, le siège technique reste toutefois à Paris.

2. Les acteurs qui investissent dans l’intelligence artificielle en France

Depuis le début d’année, les startups françaises de l’IA ont levé 589 millions d’euros, sur des deals s’établissant en moyenne à 13,4 millions d’euros. En comparaison, la moyenne des deals tous secteurs confondus depuis janvier est à 7,4 millions d’euros. La France compte désormais 432 pépites dans le secteur, une belle progression depuis les 180 startups recensées en 2016. Le secteur bénéficie également du dynamisme général du capital-risque français, avec des tours plus nombreux et plus élevés. 

Le top 5 des fonds français les plus actifs depuis le début d’année sont les suivants : 

A noter également l’activité d’Alven, BNP Paribas Développement et Eurazeo. Ce palmarès peu différencié s’explique par les applications transverses de l’IA et l’absence de fonds français strictement spécialisés dans le secteur. Des sous-fonds dédiés à l’investissement dans l’IA ont toutefois récemment été créés par des corporates : c’est le cas de Toyota AI Ventures (issu de Toyota et doté de $100 millions), Gradient Ventures (Alphabet), Basis Set Ventures (doté de $136 millions), Microsoft Ventures AI Fund (Microsoft) ou encore Baidu Ventures (issu de Baidu et doté de $200 millions).

Les startups françaises de l’IA sont particulièrement convoitées par les investisseurs étrangers, américains et britanniques en tête.

L’IA française attire également les investisseurs étrangers, fonds britanniques et américains en tête (16,4% des deals contre 9,8% tous secteurs confondus). L’Allemagne suit avec une participation dans près de 5% des opérations (contre 1,6% tous secteurs confondus). Pour les entrepreneurs, la problématique d’expansion à l’international se pose : l’intégration d’un investisseur étranger constitue alors une porte d’entrée vers de nouveaux marchés et les solutions d’IA se prêtent particulièrement à une application à l’étranger une fois scalable. Côté investisseur, l’engouement pour le secteur s’explique par les années de recherche nécessaires aux projets, et par conséquent leur caractère hautement stratégique.

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Nationalité des investisseurs dans l’IA vs tous secteurs confondus depuis janvier 2019
(Source : Eldorado.co)

 

Quant aux profils d’investisseurs, ils sont principalement constitués de fonds VC (58,8%) et business angels (26,5%). Suivent les fonds de corporate venture (7,4%), les banques et family offices (2,9% ex-aequo). Cette répartition est donc similaire à celle tous secteurs confondus, ce qui s’explique à nouveau par la diversité des applications de l’IA et les divers stades de développement des startups. A noter que les business angels du secteur investissent au-delà de l’amorçage, qui ne constitue que 19% des opérations enregistrées (contre 39% tous secteurs confondus). La levée de fonds début octobre d’AnotherBrain de 19 millions d’euros a ainsi été effectuée auprès de fonds de capital-risque et de business angels. 

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Répartition par type d’investisseurs dans l’IA vs tous secteurs confondus depuis janvier 2019
(Source : Eldorado.co)

Plus de ¾ des fonds levés depuis janvier l’ont été en Série A et B, démontrant une plus grande maturité des startups du secteur.

Ce constat fait également écho aux tours de tables plus élevés que la moyenne : ainsi, 77% des deals de l’IA relèvent de la Série A et Série B, tandis que ce chiffre est de 58% tous secteurs confondus. Autrement dit, les pépites du secteur lèvent des fonds lorsqu’elles sont plus matures - ou du moins, des montants plus importants.

3. Quels sont les risques d’investissement propres au secteur ?

Dans un premier temps, il convient de revenir sur les facteurs clés de succès généraux du secteur. Comme toute industrie reposant sur la recherche appliquée et un produit fortement technologique, l’expertise de l’équipe et la protection juridique du produit sont essentiels. A ce titre, les initiatives gouvernementales actuellement menées (investissement massif, aides publiques deeptech, concours d’innovation i-PhD) qui invitent les experts et chercheurs à créer leur propre entreprise sont particulièrement pertinentes. 

L’étape suivante d’obtention d’une certification de propriété intellectuelle est hautement stratégique. C’est un facteur doublement rassurant : d’un côté, les investisseurs obtiennent un gage de qualité de l’innovation et de l’autre, les entrepreneurs renforcent leur “first mover advantage” avec une barrière à l’entrée légale.

Jusqu’à 40% des startups européennes référencées du secteur n’utiliseraient pas significativement d’intelligence artificielle (MMC Ventures).

Le secteur souffre toutefois de son attrait, puisque certaines startups revendiquent par souci marketing l’existence d’une intelligence artificielle qu’elles peinent à prouver par la suite. C’est le cas pour les startups dont l’IA constitue une plus-value ou fonctionnalité supplémentaire à leur produit de base. Selon une étude récente du fonds d’investissement londonien MMC Ventures, jusqu’à 40% des startups européennes référencées du secteur n'utiliseraient pas significativement d’IA. Derrière ce constat se cache une application variable de la définition même d’intelligence artificielle, ce qui permet d’englober ou d’exclure certaines technologies selon les cas. Une due diligence poussée de la technologie est donc nécessaire pour s’assurer de l’importance de l’IA dans le produit et de son caractère innovant.

A noter également que la nature même de ces technologies requiert de multiples itérations (ainsi qu’une base de données importante) qui font obstacle à la scalabilité rapide habituellement attendue des startups. Les besoins de financement sont donc propres au secteur : le recrutement de talents est décisif, tout comme le financement des dépenses de recherche. Cette scalabilité différée affecte le moment où ces startups lèvent des fonds, ainsi que le ticket moyen de chacun de leurs tours de table. Il est donc nécessaire d’ajuster ses indicateurs de performance et critères pour analyser ces startups, afin de prendre en compte leur maturité et enjeux du moment.


Secteur stratégique et diffus, l’IA offre de nombreuses opportunités d’investissements. Les levées de fonds du secteur ne cessent d’augmenter en taille et en nombre, et 2019 promet d’être une bonne année grâce à la méga-levée de Meero. Pour retrouver les prochaines pépites du secteur, découvrez-les vite sur Eldorado !

Pour aller plus loin :

  • Le concept et les pionniers de l’IA Futura Sciences
  • Les familles d’IA et leurs applications Cédric Favier
  • L’évolution de l’investissement dans l’IA depuis 2015 Capgemini Invent
  • Cartographie des startups IA en France Bpifrance
  • L’essor de l’IA en Europe Serena
  • État de l’art et perspectives pour la France dans l’IA Pipame
  • Cédric Favier sur la thèse d’investissement d’Elaia Les Echos
  • Les startups de l’IA sans intelligence artificielle lebigdata.fr
  • Limites de l’étude de MMC Ventures Olivier Ezratty
Avec la contribution de
anna@eldorado.co's picture
Anna Richard
VC Analyst @ Eldorado


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