HER-VEST #2

Eldorado et la FrenchTech Grand Paris s’associent pour mettre en avant les femmes qui font la Tech françaises.


Ecosytème startup
Publié le 01/12/2022

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On évoque souvent le déséquilibre notable de l’écosystème en termes de mixité : moins de femmes entrepreneuses, et surtout beaucoup de difficultés à se financer. C’est pour cela que chez Eldorado nous suivons mensuellement les levées de fonds menées par des femmes fondatrices ou co-fondatrices de startups et restons très attentifs aux évolutions et initiatives mises en place pour plus d’équilibre. 



Mais l’écosystème Tech n’est pas seulement constitué d’entrepreneuses et d’entrepreneurs…

Que se passe-t-il de l’autre côté de la table ?


En collaboration avec la French Tech Grand Paris, nous avons décidé de mettre en lumière les femmes qui investissent. Celles qui ont décidé de se lancer dans le Venture Capital, de partager leur expérience et de mettre à disposition leurs compétences pour accompagner les entrepreneurs et entrepreneuses dans le développement de leur projet. 

Nous vous proposons donc une série de portraits de femmes Business Angels ou travaillant en fonds d’investissement pour vous faire découvrir ou redécouvrir le parcours de ces femmes inspirantes et les raisons qui les ont menées à l’investissement en startup, les difficultés rencontrées et les apprentissages tirés. 

Pour ce deuxième portrait, nous vous proposons de découvrir, ou redécouvrir, le parcours inspirant de Céline Lazorthes et ses conseils en tant que business angel, qui endosse la double casquette d’investisseuse/entrepreneuse. 

Céline est la fondatrice du site de cagnottes en ligne Leetchi, et de la solution de paiement Mangopay. Céline a vendu Leetchi/MANGOPAY en 2015, puis après avoir quitté ses fonctions opérationnelles en 2019, elle a fondé en 2021 Resilience, dont la mission est de mieux soigner le cancer grâce au digital, en proposant une solution qui adresse à la fois les patient·e·s et les professionnels de santé.

Au-delà de ses aventures entrepreneuriales à succès, Céline a également fondé le collectif qui œuvre pour l’entrepreneuriat féminin et la réduction des inégalités de financement, SISTA, aux côtés de Tatiana Jama. 

Au cours de cette discussion passionnante, nous revenons donc sur ses expériences en tant que business angel, ses atouts en tant qu’investisseuse-entrepreneuse, les évolutions de l’écosystème en terme de parité ces dernières années ou encore sur l’importance de savoir analyser une équipe quand on veut réaliser des investissements en startups. 

Bonne lecture ! 

Pour commencer, peux-tu nous dire comment tu t’es initiée à l’investissement ? Quel a été le déclic, ou plutôt par opportunité ? 
J’ai commencé à investir suite à la vente de ma première entreprise (Leetchi). Les raisons étaient multiples; la première raison, c’est que j’avais envie de redonner à l’écosystème, de la même manière que j’ai pu bénéficier à l’époque, d’investissements de la part de business angels. Ce qui avait de la valeur, ce n’était pas tant leur investissement financier, mais leur apport de réseau de connaissances, d’expériences etc. Donc la première raison, c’était redonner.
La deuxième raison, c’était que j’étais à un stade de mon aventure entrepreneuriale où j’avais envie de ressentir de nouveau les frissons des débuts. C’était le bon timing, j’ai commencé à investir à partir de 2015.
Enfin, c’était aussi par curiosité. Celle de rencontrer de nouvelles équipes, de nouveaux secteurs, de nouvelles façons de travailler etc. On apprend beaucoup en investissant. Depuis que j’ai créé ma troisième boite, Resilience, je n'investis plus que dans le secteur de la santé, parce que ça me permet de monter en compétences et de mieux comprendre les problématiques des startups Tech du secteur de la santé, donc je ne n'investis que dans des HealthTech. 

Peux-tu nous donner des exemples d’investissements réalisés dans le secteur de la santé ?
Oui, voici les derniers investissements que j’ai réalisés : 
Alan (InsurTech 100 % en ligne.);
Synapse (Une plateforme de Medication Intelligence dédiée au bon usage du médicament.);
Lifeaz (le 1er défibrillateur pensé pour les particuliers);
May (Application d’accompagnement de jeunes parents avec des conseils pédiatriques).

Tu as cette double casquette entrepreneuse-investisseuse.
Aux US on observe un certain nombre d’investisseurs qui sont passés par la case entrepreneurs, en France beaucoup moins, est ce que ce double profil peut être un atout selon toi ? Est ce qu’il faudrait plus de ce type de profil dans l’investissement ?
Non, pas nécessairement. En tant que business angel, c’est vrai qu’un entrepreneur détient l'expérience du parcours, du terrain, et cela peut apporter beaucoup aux entrepreneurs qu’il va accompagner. Par contre, pour des investisseurs professionnels comme des fonds VC ou des fonds de PE, je ne suis pas sûre que les profils entrepreneurs soient particulièrement adaptés. Selon moi, ce n’est pas le même type de compétences qui sont requises.
Le business angel reste petit, il n’est pas forcément très présent. Là où l'investisseur professionnel a souvent une place au board, parfois va être majoritaire, on attend donc qu’il soit plus constant. Là ou un entrepreneur est un passionné, il va dans un sens et un autre, il teste etc. Ce n’est pas du tout le même type de profil, et moi j'apprécie que mes investisseurs soient des gens constants: ni trop excités quand il y a des hauts, ni catastrophés quand il y a des bas, car c’est toujours comme cela, la vie d’une entreprise.
Et il faut ajouter que l’appréhension du risque est aussi différente. 

On sait que les femmes peuvent avoir des biais psychologiques, leur approche du risque est différente de celle des hommes et c’est une des raisons pour laquelle il y a bien moins de femmes qui entreprennent que d’hommes. Selon toi, est-ce que c’est la même chose du côté des investisseuses ? Est ce qu’il y a moins de femmes dans l’investissement parce que la notion du risque est différente, un manque de culture financière et de confiance en soi ?
Il y a sûrement un peu de tout ça.
Je dirais que la première chose, c’est que pour être une business angel, il faut avoir été une entrepreneuse qui a réussi, et donc avoir été entrepreneuse. Et il y a peu de femmes qui lancent leur startup (moins qui arrivent à lever des fonds?), et par conséquent, moins de femmes qui réussissent et donc moins de femmes sont allées à l’étape de réinvestir une partie de l’argent qu’elles ont gagné.
Après il y a une culture de la gestion du capital, qui est probablement un peu genrée. On ne pense pas à des figures féminines quand on pense à l’investissement et à la finance. Pourtant on a besoin de role models pour se projeter. 

Toi qui as vu le développement de l’écosystème et notamment à travers SISTA, quel constat fais-tu aujourd’hui, fin 2022 par rapport à 2017/2018 ? Est ce que l’écosystème a évolué et comment ?
Il y a des petits pas, et ce sont les petits pas qui font les grands.
C’est certain qu’on {SISTA} a pu démontrer à l’écosystème que ce qui était acceptable, est inacceptable.
Qu’il y ait si peu de femmes entrepreneuses qui soient financées par des investisseurs est inacceptable. Il doit y avoir autant de femmes financées que de femmes qui créent des projets. Je pense qu’il y a une prise de conscience, c’est une évidence, on ne peut plus faire sans. Pareil côté investisseurs, à l’époque où on a commencé, la moitié des fonds d’investissement n’avait pas de collaboratrice. Il y a  eu des prises de conscience, ça évolue bien sûr. Il y a de plus en plus de femmes entrepreneuses, on a dû permettre d'évangéliser et donner envie de passer le cap.
On a aussi vu une vague d’hommes, qui remontaient des entreprises après un premier succès, et qui voulaient s’entourer de femmes : dans l’équipe fondatrice ou au board investisseurs.
Donc on observe des évolutions, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire au niveau des femmes financées. 

Justement, est-ce que tu observes une différence dans la manière de gérer et développer sa startup entre fondateurs et fondatrices ?
C’est difficile à dire, car ce n’est pas tellement objectif. Les entreprises qui performent le mieux, ce sont celles qui ont des équipes mixtes à leur tête. C’est une réalité économique et financière. Celles qui performent le mieux et qui réalisent les meilleurs exits, ce sont celles fondées et dirigées par des équipes de femmes et d’hommes. Cela signifie que la diversité de point de vue, apportée par la parité, a du sens. Les femmes et les hommes détiennent une expérience et un vécu différents. De manière générale et à titre personnel, j’observe que les femmes affichent une sensibilité différente dans la création de leurs équipes et une meilleure appréhension de la diversité. Je n'attribuerais pas des comportements spécifiques, je connais des femmes qui ne sont pas du tout averses au risque, et inversement.

On voulait évoquer avec toi ce qu’il se passe en ce moment dans l’écosystème, on assiste à une contraction du marché. Le fait que ce soit aujourd’hui plus complexe de lever des fonds auprès de fonds VC, laisse-t-il une place plus importante aux business angel ?
Est-ce qu'à titre personnel, tu as modifié ton comportement en tant qu’investisseuse ?
Pour le premier point, on peut seulement inviter les startups à être plus précautionneuses, car les 24 prochaines mois vont être plus compliqués. Le marché s’est rétracté et il faut faire avec.
Oui je vais être plus vigilante aux sujets de valorisation. C’est une question d’offre et de demande, et aujourd’hui les conditions sont un peu plus favorables aux investisseurs. Il y a quelques temps, on observait des levées de fonds en seed, auprès de primo-entrepreneurs. Et en même temps, moi j’ai connu une période où lever des fonds c’était très compliqué, avec des clauses de liquidités préférentielles inacceptables. Donc il y a probablement un chemin entre les deux. 

Tu as évoqué ta thèse d’investissement en préambule, on peut en parler plus en détail ? Est ce que tu fais attention à ce que l'équipe soit mixte ? À quel stade de maturité interviens-tu ? etc.
J’investis en Pré-seed, en Seed, en Série A , et même après (Série D au plus tard), mais essentiellement en Seed et Série A. 
Mon carnet d’adresse est essentiellement européen : France, un peu Angleterre, Lituanie, et peut-être une ou deux aux US, ça donne : 50 % France, 30 % Europe, 20 % US. J’investis uniquement sur du digital, très orienté services, et je me concentre sur la santé, avec comme principal objectif d’être meilleure pour les boîtes dans lesquelles j’investis et meilleure dans ma propre boite. Bon, et je réalise parfois des écarts à ma thèse et il m’arrive d’investir dans d’autres secteurs que la santé quand j’ai un coup de cœur. 

C’est intéressant que tu parles de ton carnet d’adresse, car on a pour objectif de délivrer des conseils pour les femmes qui veulent se lancer dans l'investissement et c’est une chose qui revient souvent, le carnet d’adresse. Aujourd’hui, ton dealflow provient essentiellement de ton réseau ? Quels conseils donnerais-tu à une femme qui souhaite se lancer, et ne vient pas forcement de cet ecosystème et ne sait pas forcement comment solliciter son réseau ?
C’est vrai que j’ai beaucoup de demandes entrantes.
Une bonne façon de devenir business angel, c’est d’en rencontrer d’autres. Avec SISTA on organise souvent des échanges par exemple. On se conseille aussi sur les opportunités d’investissement, il y a une vraie sororité. Je dirais que c’est une première démarche, et la deuxième étape c’est d’aller au devant des boîtes. Si elles ne viennent pas à vous c'est à vous d’y aller, participez aux évènements etc. 

De manière plus globale, au-delà du réseau est ce que tu penses qu'il y a  des éléments essentiels sur lesquels il faut se former pour se préparer à endosser ce rôle de business angel ?
Je dirais que le premier point c’est de se focaliser sur l’équipe; bien analyser les forces et les faiblesses de l’équipe fondatrice, les relations et les interactions entre chacun, c’est beaucoup d’intuitu personae. Il faut bien lire la psyché de l’autre et comprendre les relations entre les fondateurs, ou comprendre au contraire pourquoi un fondateur ou une fondatrice est “solo”. Il faut également connaître le marché, être capable de savoir si on mise sur le bon cheval, celui qui a les meilleures capacités actifs/ambition. 
Et bien sûr, le produit, comment il est conçu, quelles en sont les évolutions possibles etc. 
Mais s’il fallait se concentrer sur une chose, c’est l'équipe, l'équipe et l’équipe. 

Tu as un conseil pour des néo-business angel qui sont confrontés à des fonds VC, comment est ce que la relation peut se passer au mieux quand ils se retrouvent ensemble au sein du capital d’une startup ? 
Honnêtement, je pense qu’il n’y a pas grand chose à faire. Une entreprise qui maltraite ses business angel, ou qui laisse des fonds VC maltraiter ses business angel, c’est que c’est pas une bonne entreprise. Moi ça m’est arrivé, et il y a pas grand chose à en faire, c’est assez désagréable. Il n’y a pas beaucoup de réels mécanismes de protection pour les business angel. Encore une fois, il faut bien identifier le profil des fondateurs et bien choisir la startup. 

Pour compléter, est-ce-que tu as déjà réinvesti dans une startup qui n’allait pas forcément très bien, dans le but de soutenir l’équipe et les aider à pivoter ?
Non, car j’ai rarement réinvesti, et  quand j’ai réinvesti j’y croyais à 3000 %.
Il m’est déjà arrivé d’aider des startups à sortir de situations difficiles, mais du pur réinvestissement, généralement c’est quand on est convaincu que l’entreprise va performer.
En tant que business angel, financer un pivot c’est compliqué.

Dernière question, comment est-ce qu'on peut démocratiser le sujet de l’investissement en startup ?
Il existe déjà des projets très intéressants, comme Moonfare qui permet d’être très bien encadré. 
Il faut apprendre à être un bon business angel. On sait comment se comporter en tant qu’investisseur quand on a été entrepreneur car on sait ce qui est problématique. Il faut apprendre ces bonnes pratiques.

Avec la contribution de
aude@eldorado.co's picture
Aude Delépine

Eldorado


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