Si les levées de fonds semblent incontournables pour financer sa start-up, elles ne sont pas pour autant indispensables. Certains entrepreneurs font ainsi le choix du bootstrapping, qui revient à se financer par leur activité commerciale et à ne pas faire entre chacun acteur extérieur au capital de leur société. Ce modèle de développement peut être vu comme la forme la plus absolue de liberté entrepreneuriale. Mais l’indépendance financière n’est pas sans contraintes, à commencer par cet impératif de vendre pour survivre et ce, qu’importe le contexte.
Wilfried Garnier est sans doute la référence du bootstrapping en France. Son entreprise Superprof compte plus de 15 millions de professeurs, répartis dans une trentaine de pays, qui proposent des cours en ligne dans une quinzaine de langues. Sept ans après sa création, l’entreprise est bénéficiaire et n’a jamais levé de fonds. Le fondateur et CEO revient sur les leçons apprises au fil de sa quête d’indépendance.
Le choix de l’indépendance entrepreneuriale
Pour une entreprise qui ne veut pas faire de levée, gagner de l’argent est la seule façon d’exister. Le bootstrapping implique de faire du chiffre d’affaires dès le jour 1 pour pouvoir survivre le lendemain. C’est une philosophie qu’applique Wilfried depuis la création de Superprof. Il se souvient avoir réalisé un chiffre d’affaires de 27€ au premier jour d’activité, signe que son modèle économique avait le potentiel de financer rapidement son développement. Cette approche sous-entend un état d’esprit spécifique: ne pas avoir peur de se confronter dès que possible au marché. Wilfried rappelle qu’un produit n’est jamais fini et toujours améliorable. Mais là où une levée de fonds permet d’accorder plus de temps à la R&D (et donc de reculer la date de confrontation au marché), le bootstrapping oblige un entrepreneur à privilégier l’action à la réflexion. “Lever des fonds peut reculer la confrontation de ton produit au marché, là où le bootstrapping va t’inciter à tester ton modèle économique le plus tôt possible.”
Une autre grande question est celle de la rémunération. Si Wilfried avais mis un peu d’argent de côté avant de se lancer, il n’aurait pu tenir que quelques mois sans se payer. Pour lui, se rémunérer au plus vite est à la fois un impératif et un stimulant quand on prend la voie du bootstrapping. L’entrepreneur encourage les jeunes actifs à envisager ce choix dès le début de leur carrière, c’est-à-dire à un moment où ils ont tout à apprendre et rien à perdre. Quant aux individus plus avancés dans leur vie professionnelle, ils peuvent bénéficier de l’ouverture de leurs droits au chômage après une rupture conventionnelle. Qui plus est, l’essor d’outils SaaS et no-code a largement contribué à baisser les barrières à l’entrée de l’entrepreneuriat, qu’elles soient financières ou techniques. “Lever des fonds n’est pas la condition sine qua non pour réaliser des acquisitions. Avec Superprof, nous avons acheté une quinzaine d’entreprises grâce à des emprunts bancaires amortissables sur sept ans.”
Le développement par la maîtrise des coûts
L’indépendance financière ne s’acquiert pas seulement en gagnant de l’argent mais également en maîtrisant ses coûts. Si le chiffre d’affaires est aussi important dans le bootstrapping, ce n’est donc pas uniquement parce qu’il peut être réinvesti mais parce qu’il permet de renforcer son pouvoir de négociation. D’où l’importance d’optimiser son modèle économique en permanence et de jamais faire l’erreur, courante, de privilégier la pénétration du marché au détriment de sa marge, précise Wilfried. L’entrepreneur indique que de nouvelles perspectives s‘ouvrent à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires. C’est le cas de l’accès à l’emprunt bancaire, qui lui a notamment permis de financer de gros postes de dépenses comme les acquisitions. Il s’agit également d’un atout de taille auprès des fournisseurs, que ce soit par la réalisation d’économies d’échelle ou le recours aux délais de paiement pour mieux piloter son activité.
Le bootstrapping est souvent associé à une certaine frugalité. Ce n’est pas tout à fait vrai, selon Wilfried, qui nuance en précisant qu’il s’agit d’une autre approche de l’investissement. Avec Superprof, il a préféré miser très tôt sur le référencement naturel plutôt que sur l’acquisition payante, qui est souvent un poste de dépense très important pour de nombreuses start-up dont la stratégie est d’inonder un marché. Sans pression de la part d’investisseurs extérieurs, affirme Wilfried, le rapport au temps est totalement différent pour un entrepreneur. Être le seul à décider de son rythme de croissance permet d’avoir la liberté de miser sur des ...