Pourquoi faut-il adapter le Business Model Canvas aux startups Deeptech ?
Investissement, qualité et dynamisme de sa recherche, acteurs motivés, la France a des atouts c’est indéniable. Avec sa volonté de dynamiser son écosystème et d’apporter des solutions de financements aux projets deeptech la France se donne des outils pour devenir une grande puissance dans ce domaine. Néanmoins, le financement ne fait pas tout. Il ne suffit pas d’injecter de l’argent pour que ce type de start-up se développe. Il faut aussi leur donner les outils adaptés pour leur permettre d’être efficiente. Un aspect souvent négligé est le type de matrice (matrice de modèles de développements, matrice d’affaires et de gestion de projet) qu’il faut utiliser dans un cadre de projet deeptech. Beaucoup de matrices existent et en faire liste exhaustive est difficile. Par simplicité d’utilisation, par pertinence ou même par habitude, certaines matrices sont plus répandues que d’autres et c’est le cas de la matrice de modèle affaire Business Model Canvas (ou BMC).
Relativement aisé à prendre en main, le BMC est largement plébiscité par les sphères du monde de l’entreprenariat (incubateurs, sociétés de capital-risque, chambres de commerce et d’industrie...) et fait partie des outils les plus utilisés par les start-ups. C’est pour cela qu’il est intéressant de l’étudier. Créé par Alexander Osterwalder, le Business Model Canvas un outil utilisé pour retranscrire de manière simple le modèle économique d’une entreprise. Il est parfaitement adapté à la phase de création, et peut aussi être utilisé pour le lancement d’un nouveau produit ou d’un nouveau service. Il comprend 9 composantes (les terminologies peuvent varier mais le fond reste le même).
Le BMC permet d’avoir des indications sur le financement de l’entreprise, sa proposition de valeur, son segment de clientèle visé ainsi que la structure de ses coûts. Il permet de cartographier les éléments clés du projet d’une start-up. Il est utile pour les start-ups et aussi pour les start-ups deeptech mais il doit s’adapter pour être efficace. Nous l’avons noté, une start-up deeptech n’est pas n’importe quelle type de start-up. Même s’il est très complet dans son ensemble, l’un des défauts du BMC est son application à vocation trop générale, qui ne sait pas différencier une start-up classique d’une deeptech. Chaque projet étant différent, les problèmes qu’elles peuvent rencontrer sont différents. Il est donc impératif d’adapter le BMC aux cas par cas. L’avenir étant fondamentalement incertain, baser une vision d’un futur lointain sur une perception du présent est un risque important. Les débouchés ne peuvent arriver que dans plusieurs années et un effet dit « d’exaptation » peut apparaitre (lorsqu’une capacité ou une caractéristique est détournée de la fonction qu’elle remplissait à l’origine), c’est l’exemple de la couverture de survie.
La couverture de survie (« space blankets » en anglais) est formée d'une très fine couche de plastique et d’un revêtement métallique qui réfléchit à 90% le rayonnement infrarouge pour limiter un refroidissement ou à l'inverse un échauffement. Elle a été mise au point par la NASA (National Aeronautics and Space Administration) dans les années 1960 et était initialement conçue pour la protection de satellite. Non prédit lors de sa conception, son faible coût de production lui permet d’être maintenant, principalement utilisée pour la protection de personne (lors d’accidents ou en milieu de la survie par exemple). Les problèmes liés au BMC proviennent de la notion du temps, un projet de start-up deeptech s’inscrivant dans le temps long (de 5 à 15 ans voire plus). Cela pose des difficultés, notamment pour la qualité de la définition du « segment de clientèle visé » ainsi que de la « relation avec les clients ». Les clients identifiés aujourd’hui ne seront pas forcément ceux de demain. En effet, pour les start-ups deeptech leur marché n’existe pas encore. C’est pour cela qu’il ne me paraît pas nécessaire d’identifier des clients précis (dans un premier temps) mais plutôt un « halo de clientèle », moins précis, une sorte masse potentielle.
De plus, je propose de mettre en place un cycle de mises à jour du BMC. Pour construire un BMC, il est nécessaire d’avoir analysé avec soin son environnement macro et micro-économique. La mise en place d’une veille économique est nécessaire et les outils d’intelligence économique sont le moyen efficace pour y parvenir. S’inscrivant aussi dans le temps long avec sa dimension stratégique, l’intelligence économique est l’un des meilleurs moyens d’appréhender la complexité d’un environnement et de ses sous-ensembles. Elle permet au cycle de mises à jour du BMC, d’infirmer ou de confirmer les hypothèses et les projections faites initialement. De plus, il est nécessaire de noter les évolutions entre chaque mise à jour. La mise en place de KPI (indicateur clé de performance) pour suivre l’évolution du BMC dans le temps permet d’apprécier les changements entre itérations. C’est ainsi qu’un cycle de mises à jour du BMC pourra être utile aux start-ups deeptech. Ce cycle permettra également, d’identifier de nouveaux débouchés, de nouveaux clients (préciser le « halo de clientèle »), de nouveaux partenaires, de nouveaux concurrents, de nouveaux collaborateurs et aussi d’identifier des impasses sectorielles qui peuvent naître avec le temps. La souplesse offerte par le BMC permet de le faire évoluer relativement simplement. Pensée pour les start-ups deeptech, cette légère adaptation, peut dans certains cas s’appliquer aux start-ups classiques.
Conclusion
En définitive, adapter de façon « simple » l’outil Business Model Canvas, permet aux start-ups deeptech d’avoir une meilleure compréhension de leurs environnements ainsi que l’agilité. Le BMC peut être présenté lors de levées de fonds et de recherches de partenaires. Il indique la mise en place d’une vision claire non figée et peut amener à des synergies positives (alignement avec les stratégies d’investisseurs ou de grands groupes, anticipation des modes de transfert de technologies) preuve d’une réelle action stratégique. Cette proposition d’adaptation ne doit pas être fixe, elle est vouée à évoluer aux grès des besoins des entreprises. L’idée principale est de faire avancer les start-ups deeptech, non de les enfermer dans des carcans ou autres généralisations abusives.
Cet article a été écrit par Camille Ouya, Competitive Intelligence and Innovation chez Groupe Constructa.