Nous vous proposons une série de portraits de femmes Business Angels ou travaillant en fonds d’investissement pour vous faire découvrir ou redécouvrir le parcours de ces femmes inspirantes et les raisons qui les ont menées à l’investissement en startup, les difficultés rencontrées et les apprentissages tirés.
Pour notre troisième portrait, Sarah Huet a accepté de se prêter à l’exercice et nous la remercions vivement !
Hyperactive et passionnée, Sarah a endossé de multiples casquettes, toujours sur les sujets de transformation digitale, de conseil et de structuration. Sarah est aujourd’hui à la fois co-fondatrice de AFemaleAgency, cabinet de recrutement et de services pour des Top Talents féminins dans la Tech, et co-fondatrice de Leia Capital, un collectif de business angels féminin.
Découvrez ici notre échange passionnant avec Sarah :
Dans un premier temps, pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel ?
J’ai un parcours diversifié et international, j’ai exercé des métiers différents, centrés sur la tech depuis une petite dizaine d’années. J’ai d’abord été dans le milieu corporate, puis j’ai intégré un “Big 4” (les quatre plus grands cabinets d'audit financier et de conseil au niveau mondial). Ensuite, j’ai travaillé au sein des équipes de transformation digitale chez LVMH, et j’ai rejoint Partech pour diriger le Partech Shaker, leur campus d’innovation: c’est là que j’ai pu, pendant 4 ans, développer le soutien au portefeuille de startups du fonds, notamment sur les sujets RH.
Et puis je me suis lancée dans l’entrepreneuriat en cofondant AFemaleAgency, en janvier 2022,. En parallèle, cela fait 7 ans que je suis investisseuse, j’ai notamment co-fondé Leia Capital en septembre 2021 avec 13 autres Business Angels. Pour la petite histoire, nous avons signé les deux pactes d’associés le même jour !
Deux projets en même temps, comment répartissez-vous votre temps?
AFemaleAgency est mon activité principale, je suis entrepreneure à plein temps. Leia Capital, c’est davantage un projet de cœur, un “side project” qui ne nous rémunère pas mais sur lequel nous sommes très mobilisées: nous y travaillons plutôt en soirée notamment pour nos comités d’investissement . Au début du projet, c’était beaucoup de travail pour lancer les différents chantiers et process, aujourd’hui, je passe entre 1 et 2 jours par mois sur Leia Capital.
Pourquoi vous êtes-vous lancée dans l’investissement en startup ? Quel a été votre déclic?
La première raison, c’était l’envie d’apprendre, de développer des compétences. Je voulais découvrir l’écosystème et surtout découvrir le métier d’investisseuse. Aujourd’hui, ça fait 6,7 ans que j’investis, et j’ai compris que cet écosystème s’entretient. J’ai un réseau développé de Business Angels et de fonds de VCs avec lesquels nous échangeons sur des deals et parfois nous co investissons. Les femmes qui endossent le rôle de BAs (Business Angels) et de VCs (Venture Capital) se soutiennent beaucoup, je me suis fait de très bonnes relations, un vrai exemple de sororité.
Après, je ne vais pas ressortir les chiffres déprimants que nous connaissons: seulement 10% des décisionnaires au sein des fonds d’investissement sont des femmes, et il y a également peu de femmes BAs…
Avec Leia Capital, nous avons deux objectifs clairement identifiés: financer plus de femmes très tôt, et démocratiser l’investissement féminin. Il y a un gros côté relations publiques chez Leia Capital, nous voulons donner les clés et l’envie d’investir aux femmes.
Plus personnellement, ce qui me motive à investir, c’est continuer d’apprendre, développer mon réseau et mes compétences, et prendre du plaisir en soutenant des gens que j’admire, et continuer de mettre ma pierre à l’édifice pour plus d’égalité et de mixité.
Quel a été votre premier investissement ?
Mon premier investissement est lié à ma passion de l’oenologie, c’est Oé. J’ai rencontré Thomas, le co-fondateur, pendant mon expérience chez LVMH, il cherchait à entrer en relation avec le Groupe. J’ai tout de suite été plus séduite par le profil de Thomas que par la boîte en elle-même, même si j’adore le vin ! Nous partagions les mêmes valeurs, et cela m’a donné envie de plutôt le soutenir lui que son produit. J’ai ensuite rencontré son co-fondateur, FX, complètement différent mais vraiment complémentaire, et aujourd’hui ils se sont bien développés, via notamment des levées de fonds successives. Les produits Oé sont bio, ce qui est important car le vin peut être rempli d’OGM: le côté impact du produit est primordial.
Akagreen a été mon deuxième investissement, j’ai été séduite par le duo que forment James et Sabrina, les co-fondateurs qui sont également en couple. Ils incarnent complètement leur marque, ils sont très focalisés et à l’écoute (n’investissez jamais dans les entrepreneurs qui n’écoutent pas !). Je suis toujours à leur board et l’entreprise se développe très bien, en autofinancement depuis leur levée en pre seed.
Pour Oé j’étais la seule femme investisseuse, sur Akagreen, j’ai fait le deal avec plusieurs BAs dont Émilie Daversin, qui m’a rejoint ensuite sur Leia Capital.
Quelle est votre relation avec les founders?
J’endosse en général un rôle de board member, j’apporte mon soutien sur les décisions stratégiques et sur les besoins de l’équipe: il m’arrive d’être sur Whatsapp avec eux à 23h s’il y a une urgence, et si besoin, j’ouvre mon réseau, etc. Mon rôle se concentre sur le support et le soutien de la boite, sans jamais penser à mes propres intérêts.
Pour les boîtes soutenues par Leia Capital, je ne suis pour le moment pas board member, mais cela peut évoluer si c’est un dossier que j’ai amené/défendu. Ce qui est intéressant chez Leia Capital c’est la force du réseau, et la complémentarité des avis qui nous permet d’avoir une vrai vision sur les trajectoires des boîtes. C’est extrêmement fort.
Avez-vous rencontré des dificultés particulières en tant que femme dans l’investissement ?
Au tout début, j’ai un peu senti le phénomène du “boys club”, il n’y avait pas une ouverture flagrante sur l’envie de me montrer comment faire, une pédagogie… Je n’ai pas été intégrée dans les cercles d’autres Business Angels masculins, avec lesquels j’ai pourtant parfois investi. Je me suis d’abord débrouillée seule dans mon coin pour trouver l’information, et les codes, et j’ai ensuite commencé avec des femmes, Émilie Daversin notamment.
C’est surtout difficile lors des premières démarches, mais une fois que tu es dans le réseau, les rouages, c’est plus simple. Il y a un réel travail de démocratisation, de vulgarisation encore à faire, pour éviter que tout le monde commence seul dans son coin: il faut des “role models”pour montrer la voie. Il existe des podcasts qui en parlent, on entend notamment beaucoup Céline Lazorthes ou Tatiana Jama; plus on en parle, plus on en entend parler, plus on a envie de se lancer. Je me souviens notamment avoir entendu dans un podcast qu’une femme avait commencé à investir avec de petits montants (5k, 10k) et ça m’a rassurée.
Sur Akagreen, j’ai aidé à la levée, et j’ai amené des gens avec moi. C’est un peu ce qu’il se passe avec Leia Capital, cet effet d'entraînement.
Qu’est-ce que cette aventure d’investissement vous apporte ?
Je ne le fais pas nécessairement dans une logique purement financière, même siun jour j’espère pouvoir faire x 10 ! Nous avons déjà de bons résultats sur Leia Capital, même si je ne peux pas vous en dire plus… Je pense que nous aurons un beau “track-record” (performances réalisées par un véhicule d’investissement grâce aux exits).
Mais ma casquette de Business Angel a aussi d’autres avantages:, je peux rencontrer des personnes qui m’aident sur mon business principal, amplifier mon réseau, développer ma connaissance de l'écosystème tech et des marchés sur lesquels nous investissons. La surface financière que l’on met dans l’investissement n’est pas forcément le plus important selon moi, l’idée c’est d’apprendre et de se laisser prendre le risque. Le meilleur investissement c’est surtout sur soi: un investissement en capital risque, c’est aussi un investissement sur soi
Avec AFemaleAgency, j’ai l’objectif de rendre à l’écosystème si je fais un exit, c’est-à-dire de continuer à investir avec un peu plus de moyens qu’aujourd’hui.
D’où provient votre dealflow?
Aujourd’hui, je suis pas mal sollicitée sur LinkedIn voire par mail, via des mises en relation. J’envoie toutes les demandes sur la boite mail de Leia Capital, pour tout centraliser et que l’on puisse revoir ensemble régulièrement tout le dealflow. On creuse ensuite sur les sujets qui nous intéressent, et on travaille sur une due diligence (analyse détaillée d’une opportunité d’investissement).
Avez-vous des secteurs de prédilection ? Si oui lesquels ?
Je suis plus sensible aux projets à impact, même si la définition de la startup à impact est assez subjective Je suis aussi intéressée par les femmes qui sont sur des secteurs où on ne les attend pas forcément comme la cybersécurité ou le spatial.
Au-delà des secteurs, je suis plutôt intéressée par l’équipe, le marché à adresser, les éléments de traction…
Ce qui me motive, ce sont les gens habités par leur projet, c’est eux que j’ai envie de soutenir, les fondateurs qui veulent se lever à 5h parce qu’ils sont excités d’aller travailler! Parfois, tu vois un fondateur ou une fondatrice arriver, et c’est une vraie rencontre, tu n’as pas envie qu’il ou elle s’arrête de parler !
Quelle est votre thèse d’investissement ?
Avec Leia Capital, nous n’investissons que si 30% de la cap table est féminine, et qu’il y a une fondatrice opérationnelle. Il y a du coup une grande majorité de femmes présentes, des deux côtés de la table, ce qui est assez inhabituel
En dehors de cela notre thèse d’investissement est agnostique : sur la première année nous avons investi dans une néo banque, une marketplace, un projet cyber, une foodtech, une startup dans l’immobilier ! Ce qui permet aussi de répartir le risque sur des secteurs différents.
Avez-vous mobilisé d'autres personnes de votre réseau sur l’investissement?
J’ai de nombreuses amies qui sont devenues investisseuses, il y a eu une sorte de catalyseur, même si ce n’est pas forcément moi qui les ai fait investir je les ai peut être tout de même un peu inspirées en leur évoquant tous les bénéfices que cela m'apportait. Ce sujet touche aussi à l’indépendance financière, il fait partie de l’épanouissement des femmes, on doit faire aujourd’hui l’économie de demain, si les femmes n’en font pas partie, ce serait vraiment dommage. Je refuse d’être attentiste d’une situation, je veux faire partie du mouvement, et même si c’est à mon échelle, ça change le monde quelque part.
Quels conseils pourriez-vous donner à une femme qui voudrait se lancer dans l’investissement ?
Je dirais qu’il faut se poser la question dès maintenant, ne pas attendre d’avoir des années d’expérience. Plus tôt on s’y met, mieux c’est. Cela permet de développer son réseau, de se former, d’être à l’aise sur des notions qui peuvent au départ faire peur. Il faut y aller! Je milite beaucoup pour faire connaître le milieu, le métier, pour que des étudiantes, des amies y aillent.
Comment faire? En contactant des femmes qui le font, en s’intéressant au sujet, en profitant des nombreuses ressources qui existent, des podcasts dont on parlait plus tôt… N’hésitez pas à aller à la rencontre des femmes et des hommes aussi, de les contacter sur LinkedIn, ils sont souvent prêts à partager leur savoir.
Pas besoin d’être une experte en financement donc et la bonne nouvelle c’est que l’on peut commencer avec de petits montants à investir : on peut se faire accompagner, s’entraîner, observer, y aller à plusieurs. Une fois l’échauffement réalisé, go !
Enfin, comment vous contacter ?
Sur Linkedin en perso via mon profil
pour Leia Capital, c’est simple : [email protected]
et pour les sujets de recrutements féminins sur mon mail: [email protected]