« On a levé des fonds pendant le confinement »

Retour d'expérience de Thomas Guenoux, CEO de la pépite Yelda, logiciel SaaS d'édition d'assistants vocaux


Ecosystème financement
Publié le 09/12/2020

Thomas Guenoux est le fondateur et CEO de Yelda, une plateforme d'assistants vocaux pour entreprise. Lancée début 2018, la jeune pousse basée à Station F a été sélectionné dans le palmarès FUTURE40. Une belle reconnaissance pour cette pépite, qui est également parvenue à lever un tour de seed de 500k€ pendant le confinement de mars. Retrouvez son expérience et ses best practices pour pitcher votre projet avec succès à l'ère Covid.

Retrouvez également nos conseils sur la modification de votre pitch deck et nos conseils pratiques avant de lever des fonds.


C’était il y a 9 mois, et pourtant cela paraît d’un autre temps. En janvier 2020, nous commencions nos discussions avec des business angels pour la levée d’amorçage (seed) de Yelda. A cette époque, nous nous serions chaleureusement pris la main, nous partagions nos cartes de visite et nous nous enfermions dans des petites salles de réunions.

Sans savoir que quelques semaines plus tard, Emmanuel Macron allait annoncer le désormais fameux confinement qui préfigurerait la crise du siècle. A ce stade, nous ne savions pas encore à quel point cette pandémie allait changer notre monde et notre économie.

Mais revenons quelques années en arrière pour vous parler un peu de notre startup Yelda, une plateforme d’assistants vocaux pour entreprise.

Je me souviens de nos premiers assistants virtuels, les chatbots, que nous avions développés en 2013-2014 via notre agence social media & mobile KRDS. A cette époque, j’avais un pied en Asie et l’autre en Europe. Après avoir habité en Inde, je voyageais régulièrement en Inde et en Chine : c’est là que j’ai découvert WeChat, une application mobile hybride entre WhatsApp et Twitter, qui s’est vite imposée comme l’application principale de messaging en Chine. Nous avions alors déployé la présence de Dior sur WeChat grâce à un chatbot, et je m’étais fait la remarque que les concurrents occidentaux tels que Messenger, WhatsApp et consorts allaient bientôt emboîter le pas et déployer leur plateforme de chatbots.

C’est pourquoi nous étions déjà familiers des assistants conversationnels lorsque Mark Zuckerberg a officiellement ouvert la plateforme Messenger aux chatbots en 2016. Ce fut la ruée vers l’or des chatbots, avec son lot de déceptions mais également de réussites. C’est à ce moment que nous créons Oh My Bot !, une agence dédiée aux chatbots.

Mais notre vision va vite évoluer, motivés par deux convictions :

  • Il est plus intéressant de lancer une entreprise sur un modèle SaaS qu’un modèle d’agence
  • Les chatbots ne sont qu’une transition vers les assistants vocaux

En effet, Alexa et Google Home ont pavé la voie de ce que sera le futur des interactions avec nos appareils. La voix reste la façon la plus naturelle de communiquer. Taper au clavier n’est qu’un palliatif, le temps que les technologies de compréhension de langage naturel soient suffisamment matures pour prendre le relais. Et justement, nous voulions participer à l’effort général pour passer ce cap !

C’est pourquoi, en 2018, Yelda a été créée ! Notre projet : développer un logiciel permettant à tous de créer très facilement un assistant vocal pour une entreprise et de le déployer partout.

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Mais cela, sans les moyens d’un Google ou d’un Amazon. Et paradoxalement, sans les moyens d’un Google ou d’un Amazon, on peut en faire des choses. J’aime bien paraphraser Margaret Mead : “On peut changer le monde avec une petite équipe, et d’ailleurs, c’est la seule façon de le faire”.

Alors, avec la contribution précieuse de deux amis business angels, nous lançons donc Yelda, avec la conviction de bâtir une grande entreprise de la Voix !

Cela prendra des années, voire plus, mais il faut bien commencer ! Alors nous avons commencé. Nous avons formé une petite équipe de codeurs, et nous avons commencé à coder et à vendre. Car, à ce stade d’une startup, il n’y a que ça qui compte : you build or you sell.

Nous avons donc consacré ces deux dernières années à développer, itérer, créer une plateforme pour propulser des assistants vocaux pour entreprise. Nous avons réussi à convaincre des PME et des grands groupes (BNP Paribas, Sodebo, Eiffage, Prixtel, Fnac, FM Logistic….). Des débuts très encourageants pour une technologie encore jeune et un marché encore naissant.

Il y a encore beaucoup à construire, mais les premières briques sont là ! Toutefois, la R&D nécessite du cash, quand bien même on s’astreint à une nécessaire frugalité. C’est donc logiquement que nous lançons un tour de financement début 2020 pour financer la poursuite de développement. Tout s’annonçait bien, jusqu’à ce mois de mars 2020.

A ce stade, nous venions tout juste d’engager les discussions avec plusieurs groupements de business angels, dont Paris Business Angels, Arts et Métiers Business Angels et Femmes Business Angels. Ces groupements rassemblent des particuliers aux profils hétéroclites et aux expériences très diverses, mais avec un point commun : l’envie d’investir et d’aider de jeunes entreprises à se développer. Ils jouent un rôle important dans l’économie des startups puisqu’ils permettent de passer le cap critique entre l’investissement initial des fondateurs (la love money) et les fonds d'investissements.

En janvier et février, nous faisons un premier pitch préliminaire en physique, auprès de quelques représentants de ces groupements. Dans le processus habituel de levée, c’est ce pitch qui va déterminer si les discussions vont se poursuivre ou non.

C’est alors que le confinement est annoncé

A ce stade, nous sommes dans l’expectative. Chacun y va de ses prédictions sur la durée du confinement, sur ses conséquences économiques et sur le monde d’après. Fin mars, les bourses dégringolent, dans une défiance irrationnelle globale, même vis-à-vis d’acteurs économiques dont les fondamentaux ne seront pas impactés par la pandémie.

En même temps, les rumeurs et spéculations sur les levées font le tour de Station F et des start-ups : tel fond d'investissement retire sa term sheet, tel autre fonds gèle tous les investissements, tel autre négocie brutalement les valorisations, etc. Bref, ça se complique.

Toutefois, nos interlocuteurs et nos investisseurs historiques ne nous lâchent pas ! Les discussions se poursuivent, chacun tentant de poursuivre son activité autant que faire se peut.

Honnêtement, à ce stade, nous étions relativement pessimistes sur nos chances de succès. Lever des fonds auprès de business angels, c’est d’abord créer un lien, une confiance et une envie commune de bâtir une entreprise magnifique. Mais comment créer ce lien alors qu’on ne peut plus se voir ? S’il y a bien un rendez-vous physique que je pensais vraiment indispensable, c’est bien le pitch final, celui où on doit convaincre des investisseurs (et notamment des particuliers) de mettre la main à la poche pour financer une équipe qu’ils ne connaissent pas.

Et bien, ils m’ont fait mentir. Puisque, croyez-le ou non, chacun de ces groupements de business angels nous propose, tour à tour, des séances plénières virtuelles, en vidéo conférence sur Zoom ! Nous voilà donc à préparer un pitch en vidéo conf. Mais pas question d’aller dans un bureau ou un coworking : ils sont fermés ! Alors on se prépare à la maison.

C’est simple : on prend notre meilleure webcam, notre meilleur micro, on s’installe devant le fond le plus neutre qu’on ait chez soi, on envoie les enfants jouer ailleurs, et on se connecte à Zoom ! Ah oui, et on prie pour que la connexion internet ne plante pas. A vrai dire, j’ai même éteint tous les appareils qui utilisaient mon Wifi. Imaginez qu’un autre ordinateur décide de télécharger une mise à jour Windows pile-poil pendant le pitch ? Ça m’est presque déjà arrivé ! Et sinon, oui, j’avoue, je pense que j’étais en chaussettes ;)

On se retrouve virtuellement devant 30, 50 et même 60 personnes. Mais ce n’est guère intimidant, puisqu’on ne les voit pas ! Et puis on pitche. On pitche sans croiser les regards, sans sentir les réactions de l’audience, sans vraiment comprendre s’il faut approfondir un concept, ou, au contraire, passer plus vite. Mais nos interlocuteurs posent des questions, à l’écrit ou à l’oral. Ils lèvent virtuellement la main sur Zoom, la parole leur est donnée, chacun fait comme dans la vraie vie. Tout est parfaitement fluide. A la fin, on salue de la main dans le vide, mais ça marche !

Clairement, l’expérience fut réussie. Au final, je ne pense pas que davantage de questions auraient été posées si on s’était rencontré physiquement. Au contraire, je pense même que certains investisseurs, qui n’auraient peut-être pas osé prendre la parole, posent plus facilement une question à l’écrit. Mais c’est vrai qu’il manque les discussions informelles, les petits échanges dans le couloir, ceux qui permettent de nouer un lien plus humain.

Une semaine après la séance plénière, c’est le débrief, avec les investisseurs intéressés. A nouveau sur Zoom, en plus petit comité. Désormais, tout le monde y est habitué, et par webcams interposées, nous sommes challengés et questionnés. Nous défendons nos chances crânement. Petit avantage à la conf-call : nous pouvons prendre des notes et s’écrire entre fondateurs pendant que l’autre parle, ce qui améliore encore notre performance.

En mai, c’est la fin du confinement. Et c’est aussi le moment où nos investisseurs annoncent le résultat : de façon générale, il y a davantage de participations qu’espéré ! Cela signifie que les investisseurs croient au projet et qu’ils ne sont pas refroidis par la crise sanitaire. Quelle bonne surprise.

Mais tant que l’argent n’est pas encore sur le compte, nous ne crions pas victoire. Alors nous continuons nos conf calls, pour parler du pacte d’actionnaire, avec investisseurs et avocats. Parce que, pendant ce temps, on entend de plus en plus d’histoires de levées avortées in-extremis...

Fin juin, alors que la pandémie commence à faiblir, nous recevons les fonds

Victoire ! C’est une très belle étape pour Yelda mais, aussi, à certains égards, pour les levées de fonds en seed : malgré la crise, des acteurs du financement se sont montrés présents. Nous tenons à saluer nos investisseurs historiques et les équipes de Paris Business Angels, Arts et Métiers Business Angels et Femmes Business Angels qui se sont adaptés très vite pour continuer à investir dans de nouveaux projets, tout en aidant les startups en difficulté de leur portefeuille pendant cette période inédite.

Avec ces nouveaux actionnaires, nous nous donnions alors rendez-vous à la rentrée pour fêter ça en personne. Mais hélas, la Covid-19 reste toujours en embuscade. Alors, en attendant, nous gardons le cap et nous continuons à build & sell, car à ce stade, c'est ce qu’il faut faire ! 



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